Joséphine, l'obsession de Napoléon
évidemment le premier informé et, selon les soirs, il était morose ou furieux. Rose fit de son mieux pour l’encourager ou l’apaiser, vilipendant les jaloux.
— Ils se vengent de votre victoire de Vendémiaire, avança-t-elle.
— Mais les généraux ?…
— Vous êtes un rival. Croyez-vous qu’ils puissent s’en réjouir ?
Il lui serra la main.
— Vous au moins me soutenez. Joséphine, faites-le entièrement. Épousez-moi.
Ses yeux brûlaient : qui d’autre la désirerait comme lui ? Elle fit donc le fameux pari :
— Soit, mon ami.
— Avant mon départ, insista-t-il.
— Mais savez-vous quand vous partirez ? Vous n’êtes même pas nommé.
— Au printemps.
— Eh bien donc, au printemps. Mais gardons notre secret jusque-là.
Il se leva et l’étreignit. Savait-il que d’ici là elle serait soumise au bon plaisir de leur protecteur à tous deux, Paul Barras ?
Avait-elle cédé par faiblesse ? Après les injonctions de Barras de lier son destin à Buonaparte, elle s’était donc rendue aux prières incessantes de Buonaparte lui-même. Non, raisonna-t-elle, c’était le bon sens qui l’avait inspirée. Demain, elle serait l’épouse d’un homme puissant et d’autant plus puissante elle-même qu’elle l’aurait soutenu dans les heures de doute.
Il n’en demeurait pas moins qu’elle cherchait sans cesse des signes de réconfort, des informations indiquant que Buonaparte emporterait le commandement de l’armée d’Italie. Les indécis commençaient à se rallier à sa cause et les ennemis se résignaient à leur défaite. Elle guettait même des signes occultes et consulta plusieurs fois Augustine Le Normand.
Un de ces signes apparut inopinément. Un soir, chez Mme de Château-Renaud, elle trouva une demoiselle de Vanem, petite personne pâle à laquelle elle n’aurait pas fait autrement attention, n’était que la maîtresse des lieux lui témoignait beaucoup de sollicitude.
— Mlle de Vanem est somnambule, annonça-t-elle, comme si c’était une distinction extraordinaire.
— Qu’est-ce à dire ? demanda un convive.
— Quand elle entre en transe, elle voit des choses que nous ne pouvons voir. Elle voit même l’avenir. Tenez, voilà une semaine, elle m’a déclaré qu’elle voyait un petit enfant dans la maison. Et, le lendemain, je reçois une lettre de mon fils aîné, qui est à Lyon, m’annonçant qu’il venait d’avoir un petit garçon.
Des murmures d’émerveillement s’élevèrent. Buonaparte, qui était présent, fit la grimace. Un vrai conventionnel se devait de rejeter, du moins en public, pareilles superstitions, momeries bonnes pour les dévotes. Joséphine, car elle s’était accoutumée à ce nom, songea à la mulâtresse Euphémie. Plusieurs personnes se déclarèrent intéressées par le don de Mlle de Vanem et plusieurs y allèrent de leurs anecdotes personnelles sur le don de divination. Cette demoiselle pouvait-elle entrer en transe à volonté ? Oui, répondit-elle, car l’esprit – on ne savait lequel – était toujours proche d’elle. On la pria donc de faire la démonstration de son extralucidité.
Elle ferma alors les yeux et parut s’assoupir. Au bout d’un temps, elle les rouvrit sur un regard fixe et se leva. Elle tendit les bras et tâtonna comme une aveugle. Elle se dirigea vers une dame et, lui effleurant la tête de ses mains, lui dit d’une voix blanche :
— Je vois une voiture… sur un grand chemin enneigé… Non, non, ne partez pas, pas tout de suite… Non, cette voiture verse dans un fossé… Mon Dieu, mon Dieu ! Je vois des blessés, j’entends des gémissements… Non, ne partez pas, pas ces jours-ci…
L’intéressée se signa, bouleversée.
— Cela est vrai, murmura-t-elle, je devais partir après-demain…
Mlle de Vanem parut errer un moment et marcha vers Buonaparte, effaré.
— Que de bruit, que de poussière…, murmura-t-elle. Ah, Seigneur, ces morts, ces blessés… Un pont, cet homme traverse un pont… Le drapeau claque au vent, il est déchiré… Ah, cet homme ! C’est un chef, tous le suivent… Il est glorieux… Ah oui, cette gloire !…
Buonaparte, les yeux écarquillés, leva les yeux vers la somnambule. Mais elle ne le voyait pas.
— Ah, Seigneur, quelle gloire est la sienne… Cet homme…
Elle chancela et rouvrit vraiment les yeux, comme égarée. Mme de Château-Renaud s’avança pour la soutenir et la ramener à son
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