Joséphine, l'obsession de Napoléon
souvent, arrivait le lendemain, harassé, les orbites creuses et non rasé.
Mais enfin, il vint et fut acclamé. Il resta pour une partie de la nuit et se révéla plus agité que véritablement ardent.
— Mon ami, vous n’allez pas partir en campagne dans l’état où vous êtes depuis plusieurs jours. Il faut vous reposer véritablement.
— Je ne songe qu’à notre mariage. Tu me tourmentes, tu me fais languir.
Elle continuait de le voussoyer et, bien qu’il la tutoyât, il goûtait le paradoxe : cela entretenait en lui la fierté d’épouser une aristocrate de l’Ancien Régime.
— Je ne peux croire que la campagne d’Italie soit pour vous moins importante que le mariage, répondit-elle. Quant à celui-ci, la date est fixée.
— Oui, sur le papier. Mais nous ne sommes pas mariés…
Je crains que tu me fasses défaut…
Il n’avait pas entièrement tort : elle commençait à se lasser d’être un aide de camp sans solde, au service physique, moral et social de ce militaire haletant. Presque plus de plaisirs, de théâtre, de promenades nonchalantes. Il fallait tenir la domesticité prête à préparer un en-cas à n’importe quelle heure et les soirées ressemblaient trop souvent à des conférences d’état-major. Plus d’une fois, excédée, elle avait rêvé qu’un incident vînt mettre fin à cette invraisemblable aventure. Telle était la raison pour laquelle elle n’avait pas encore informé Eugène et Hortense du projet de mariage, pourtant prévu quatre jours plus tard.
— Pourquoi vous ferais-je soudainement défaut ? reprit-elle.
— Jure-moi !
— Je le jure, dit-elle pour mettre fin à ce harcèlement.
Le lendemain, elle songea à la nécessité d’annoncer le mariage aux enfants. Mais il ne restait que trois jours et c’était trop peu pour faire venir Eugène de l’académie McDermott, et Hortense de l’institution de Mme Campan ; elle chargea cette dernière de les prévenir de ses noces imminentes avec le général Napoléon Buonaparte. Elle l’apprit plus tard : ils n’en parurent aucunement enchantés.
— Pourquoi ? demanda Eugène.
— Vous avez choisi la carrière militaire, répondit Mme Campan, elle ne peut être plus favorisée que par la protection d’un homme aussi éminent.
Hortense admit du bout des lèvres que c’était une raison raisonnable. Mais la lettre qu’elle écrivit à son parâtre montra que son jeune âge, treize ans, ne l’avait dispensée ni de l’insolence ni de l’esprit d’à-propos :
J’ai appris votre mariage avec ma mère. La chose qui m’a le plus étonnée, c’est que vous, à qui j’ai entendu dire tant de mal des femmes, vous vous soyez décidé à en prendre une.
Elle l’avait, en effet, entendu discourir, pour le bénéfice d’Eugène, sur les raisons pour lesquelles il fallait tenir les femmes éloignées des affaires publiques. D’autres soirs, il avait aussi raconté des histoires de fantômes. Le destinataire de la missive ne la lut cependant que plusieurs semaines plus tard.
Buonaparte était convenu, sur l’insistance de Joséphine, que le mariage serait civil et sans cérémonie religieuse. Il serait donc célébré à la mairie de la rue des Petits-Champs. Le contrat serait établi par Me Ragudeau de la Fosse.
Rendez-vous fut pris pour le 17 ventôse, 7 mars 1796 de l’ancien calendrier, à 20 heures.
Peu avant l’heure dite, ils furent tous là, réunis dans la grande salle du ci-devant hôtel de Mondragon, mairie du II e arrondissement de Paris : l’officier public Charles Théodore François Leclercq, le notaire, les témoins du marié, le directeur Paul Barras et un jeune homme de dix-sept ans, le capitaine Lemarois, l’un des aides de camp du général, les témoins de la mariée, Jean-Lambert Tallien et l’homme d’affaires Étienne Jacques Jérôme Calmelet, ainsi que Joséphine, vêtue d’une robe de mousseline blanche à fleurs tricolores.
Le secrétaire de Tallien fit apporter une cantine contenant des bouteilles de vin de Champagne et des verres. On attendait le marié pour trinquer.
Mais à 20 h 30, il n’était pas là. Il avait sans doute été retenu pour affaires à l’hôtel de la Colonnade, où se trouvaient ses bureaux.
À 21 heures, il n’était pas arrivé.
Joséphine se demanda si ce ne serait pas là l’incident espéré qui précipiterait ce projet incongru dans le fossé. Un soupçon lui vint : comment se faisait-il qu’aucun
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