Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
Vom Netzwerk:
avec son air de charpentier arrivé et satisfait. Le faune Mallarmé file avec douceur entre les couples et tremble d'être enfin compris.
    Le barbu Georges Hugo porte sur sa large poitrine l'étendard d'un nom illustre. Mme Willy, traînant la corde à puits de ses cheveux, regarde le doux Julia et éclate de rire. Bauër fait le taureau aussi petit que la grenouille, et mon ami Schwob, qui autrefois se rasait la tête jusqu'au sang, a maintenant sur le front un petit saule pleureur, noir, en cheveux plats, qui répond bien à l'état actuel de son âme triste.
8 novembre.
Bernard est venu ce soir et m'a réconcilié avec moi-même. Il m'a dit : « Tous vos amis trouvent que Poil de carotte est ce que vous avez fait de mieux. Personne ne sent aussi bien que moi l'humanité de votre petit héros. Toulouse-Lautrec veut vous voir... Selon moi, Poil de carotte, moins Les Joues rouges, est un livre où l'on prendra plus tard une série de thèmes allemands. »
Et me voilà glorieux, soufflé d'aise comme une pomme de terre, disant : « Quel dur métier ! Ah ! la gloire se fait payer cher, mais c'est ce qu'il y a de plus enviable au monde. »
Et voilà que je me rêve entouré de mes amis, et que je leur donne des conseils de volonté et d'honnêteté, et que je leur distribue des paroles de moribond !
12 novembre.
Ce que je voudrais être, c'est maître d'école de village, envoyant des articles au journal de l'arrondissement, de petites lettres à la Sarcey, loin des regards sceptiques.
Le vent, ce taureau épars.
    Poil de carotte. Lui donner comme exergue :
« Le père et la mère doivent tout à l'enfant. L'enfant ne leur doit rien. J.R. »
14 novembre.
Il eut la hardiesse de substituer à la formule « par ce courrier », celle-ci : « par ce facteur ».
15 novembre.
Pour arriver, il faut faire ou des saletés, ou des chefs-d'oeuvre. Êtes-vous plus capable des unes que des autres ?
17 novembre.
La mort doit parler de moi : j'ai un glas dans les oreilles.
22 novembre.
Le mot juste ! Le mot juste ! Quelle économie de papier le jour où une loi obligera les écrivains à ne se servir que du mot juste !
Allais, qui a toujours l'air entre deux vins, pas drôle entre deux vies drôles, entre deux ahurissements. Et sa figure fleurie, ses cheveux d'enfant, sa barbe de fauve apprivoisé pour serre parisienne !
Cette petite fleur que personne n'a jamais vue et qui, sur ce rocher, dans une touffe d'herbe, attend d'être respirée.
23 novembre.
Comiques, nos relations ! Nous échangeons des lettres adorables, deux ou trois par an, et, quand nous nous voyons, nous avons envie de nous donner des claques.
    24 novembre.
Il prit un secrétaire pour se forcer à travailler, pour avoir à lui donner de l'ouvrage.
Pour faire porter sa malle à la gare quand il vient à Paris, papa cède le raisin de sa vigne.
Hier, Raynaud me traitait de journaliste (lui étant artiste) et me donnait l'opinion de sa femme sur mes livres : « C'est enfant », et il ajoutait : « Le mot est juste. » Sa femme lui avait mis la main sur la bouche pour l'empêcher de répéter, et il lui criblait les doigts de baisers. Enfin, elle le laissa dire.
- Je veux dire, ajouta-t-elle, rougissante, que dans chacun de vos contes il y a des choses drôles, amusantes, enfantines, etc.
Je m'amusais, sans rire trop jaune.
26 novembre.
Pourquoi ne pas donner au théâtre un drame dans un wagon, un assassinat dans un train ?
Ce monde où des jeunes femmes très bien disent : « Au bout de trois mois, mon mari me faisait une queue avec la marchande de journaux d'en face. »
Il désirait faire quelques portraits à la « duc de Saint-Simon ».
Lautrec : un tout petit forgeron à binocle. Un petit sac à double compartiment où il met ses pauvres jambes. Des lèvres épaisses, et des mains comme celles qu'il dessine, avec des doigts écartés et osseux, des pouces en demi-cercles.
    Il parle souvent de petits hommes avec l'air de dire : « Je ne suis pas si petit que ça, moi ! »
Il aime Zimmermann et Péan surtout, qui a l'air, en fouillant les ventres, de chercher de la monnaie dans sa poche.
Il a sa chambre dans une « maison », est bien avec toutes ces dames, qui ont des sentiments exquis, inconnus des femmes honnêtes, et qui posent admirablement. Il est aussi propriétaire d'un couvent, et il va du couvent à la « maison ».
Il fait mal d'abord par sa petitesse, puis très vivant, très gentil, avec un grognement qui sépare ses phrases et soulève ses lèvres, comme

Weitere Kostenlose Bücher