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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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une sole, ils disent tout de suite que c'est une plie.
... D'énormes marins, les loups des égouts de la mer, avec leurs bottes gigantesques et ruisselantes, s'avancent, tassés, les jambes écartées, les bras en bois, et crachent dans leur barbe...
Isigny. Il semble que tous les gens qu'on rencontrera auront à la main une tartine de beurre, mais ni aux vitrines, ni ailleurs, on ne voit le moindre petit pot.
    En échange, beaucoup de mouches, et, sur le cheval qui conduit à la mer, des crapauds que j'ai de la peine à ne pas écraser sous ma bicyclette.
Vouilly, Colombiers. Des routes qui se croisent sans écriteaux, des bornes dont on a pris soin d'effacer l'inscription, ou, plutôt, pas de bornes, mais, à un carrefour, un grand diable de Christ, plus haut qu'un homme, qui se dresse tout à coup sur sa croix géante et qui épouvante, jaune, caleçonné comme un baigneur, tête penchée, bouche ouverte.
Des maisons basses, des portes au-dessous du niveau de la route, et un paysan, assis sur le sol en terre battue, comme s'il voulait encore s'éloigner du soleil, écosse des pois.
30 août.
Retour à Paris. A quelques lieues de Paris, je veux le conquérir, et, dès que j'y suis, me revoilà tout timide.
31 août.
Au mariage de Raynaud, l'église Saint-Laurent, toute pleine de sergents de villes déguisés, gauches et rasés de frais, avait l'air d'un bagne le jour du dimanche.
3 septembre.
Quand je relis au hasard une page de ce que j'ai fait jusqu'ici, tout de même elle me paraît un peu sèche.
5 septembre.
- Veux-tu me donner le petit cochon de porcelaine ? dit Baïe.
    - Mais, mon chéri, ça ne t'amuserait pas : il est mort.
- Oh ! alors, tu me le donneras quand il ne sera pas mort, dit ?
7 septembre.
On m'a coupé les pâles couleurs, dit-elle. J'ai vu un vieux qui m'a conduite au bord d'un vivier où il y avait des truites. Il en a pêché une, et il me l'a mise sur la poitrine, entre les deux poitrines. Je l'ai laissée gigoter et battre de la queue jusqu'à ce qu'elle soit morte. Puis, il faut la garder jusqu'à ce qu'on trouve une eau pour l'y jeter.
C'est trois francs : deux pour la truite, un pour l'homme et son travail. Et maintenant, vous voyez, je n'ai plus les pâles couleurs.
10 septembre.
A Schwob : « Aucune de ces deux publications : Poil de carotte et Le Vigneron dans sa vigne, ne me satisfera. Poil de carotte surtout est un mélange déplaisant, où je ne trouve plus les joies passées. C'est, plutôt qu'une oeuvre, l'étalage d'un esprit loqueteux où l'on rencontre un peu de tout : de la pitié, de la méchanceté, du déjà dit et du mauvais goût. Je vous donne, bien entendu, ma dernière impression. Il me faut, pour que je me remonte un peu, me rappeler votre précieuse lettre à propos du Chat.
« Enfin, n'en parlons plus. Je me juge avec autant de sincérité que de sévérité. Vous seul n'en douterez pas.
    Mais mon ennui - ajouté à d'autres - vient de ce que je ne me renouvelle pas et de ce que je suis incapable de me renouveler. Je suis né noué, et rien ne tranchera le noeud. Vous avez dit à Byvanck : «... si la vie ne lui donne la forte secousse morale dont le talent a besoin pour se délivrer des entraves qu'il se forge lui-même. » Cette condition même ne suffirait plus. Peut-être aussi que je suis mécontent d'avoir donne Poil de carotte trop vite, de l'avoir bâclé sur la fin pour gagner quelque argent immédiat. C'est possible. Les temps sont durs pour ceux qui tendent à la perfection... »
Le parquet était si bien ciré qu'elle releva sa robe comme si elle eût voulu passer une flaque d'eau, pour ne pas se mouiller les pieds.
11 septembre.
Vu entre Houilles, Carrières-Saint-Denis et Sartrouville, dans ces jardins de maraîchers où l'on recueille la pluie dans des tonneaux et dont les propriétaires habitent des maisons de cuir bouilli, sept ou huit chasseurs sans chien, les uns sur les autres, et qui avaient toutes les peines du monde à s'éviter, à ne se point gêner dans leurs petites battues hygiéniques.
Titres : Vignettes, Scènes de paravent.
Un plaisir, ce serait d'écrire de longues scènes et de m'amuser ensuite à les résumer en trois lignes.
15 septembre.
- Je suis un honnête homme, moi, monsieur !
    - Vous avez tort : c'est un mauvais métier.
20 septembre.
Si le dieu préposé à l'art me disait : « Voulez-vous être heureux par moi, mais sans gloire ? », je traiterais tout de suite.
Traiterais-je ? Est-ce que je ne tiens pas encore un peu

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