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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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le vent les bourrelets d'une porte.
Il a la taille de son nom.
Il revient à Péan, vivement amusé par toute cette charcuterie, la table en aluminium, qui vaut dix mille francs, et qu'on lève ou qu'on abaisse au moyen d'un piston, par l'opéré qui glisse et qu'on ramène, par la force de Péan qui enlève tout : les aides, l'opéré, la table, d'un seul effort, qui arrache une molaire avec ses doigts, et qui, charcutant, parle gracieusement à l'assistance...
Et toujours le grognement, et toujours le désir de raconter des choses « tellement bêtes qu'elles sont bien ».
Et des bulles de bave volent à ses moustaches.
    Elle est de ces petites femmes fragiles qui aiment mieux aimer que faire l'amour.
28 novembre.
L'Herbe. Appliquer à la description de ce village le style de Pascal ou de Saint-Simon.
Je me promène, je renifle les odeurs, j'écoute, un peu gêné seulement parce que je ne connais pas les noms de tous ces oiseaux que je dérange. Ce ne sont pas des oiseaux aux mille couleurs. Ceux-ci n'en ont que deux ou trois, ceux-là, qu'une.
Vallotton me raconte qu'une femme, après avoir lu L'Écornifleur pleurait, tant elle se sentait froissée dans sa dignité.
J'aime beaucoup votre livre parce que j'en vois bien les défauts.
29 novembre.
Je n'ai réussi nulle part. J'ai tourné le dos au Gil Blas, à L'Écho de Paris, au Journal, au Figaro, à La Revue hebdomadaire, à la Revue de Paris, etc., etc. Pas un de mes livres n'arrive à un second tirage. Je gagne en moyenne 25 francs par moi. Si mon ménage reste pacifique, c'est grâce à une femme douce comme les anges. J'ai vite assez de mes amis. Quand je les aime trop, je leur en veux, et, quand ils ne m'aiment plus, je les méprise. Je ne suis bon à rien, ni à me conduire en propriétaire, ni à faire la charité. Parlons de mon talent. Il me suffit de lire une page de Saint-Simon ou de Flaubert pour rougir. Mon imagination, c'est une bouteille, un cul de flacon déjà vide.
    Avec un peu d'habitude un reporter égalerait ce que, plein de suffisance, j'appelle mon style. Je flatte mes confrères par lettres et je les déteste à vue. Mon égoïsme exige tout. Une ambition de taille à regarder par-dessus l'Arc-de-Triomphe, et ce faux dédain des médailles ! Si l'on m'apportait la croix d'honneur sur une assiette, je me trouverais mal de joie, et je ne reviendrais à moi que pour dire : « Remportez ça ! » Le pli que j'ai au front se creuse chaque jour davantage, et bientôt les hommes auront peur de le regarder et se détourneront, comme si c'était une fosse. Je ne travaille même pas comme quelqu'un qui veut mériter l'abrutissement, et, malgré cela, il y a, ma parole, des quarts d'heure où je suis content de moi.
La corde sur laquelle il danse est bien à lui.
1er décembre.
La roue de la Fortune lui a passé sur le corps.
Il écrivait à ses parents : « Dans ce métier d'écrivain, quand on gagne de l'argent avant quarante ans on est perdu. »
4 décembre.
Les vieilles comparaisons ne nous semblent plus supportables que chez les écrivains étrangers.
5 décembre.
L'entraînement du porte-plume. Toute seule, la pensée va où elle veut. Avec le porte-plume, elle n'est plus libre. Elle tire de son côté, lui du sien.
    Elle est comme un aveugle que son bâton conduit de travers, et ce que je viens d'écrire n'est déjà plus ce que je voulais écrire.
7 décembre.
Et tout le monde se plaint. Et Veber, qui me parle avec son air d'élégante chèvre qui broute, en mangeant ses mots, se plaint que la copie ne passe pas. Et il se révolte. Il a déjà écrit dans les journaux, que diable ! Le Figaro le traite en débutant... On croit qu'il a fait un mariage très riche. D'abord, ce n'est pas une chose à lui jeter à la figure, ensuite, c'est faux. Il a maintenant une femme à nourrir... Et il disait l'autre jour à Xau : « Nous devrions tous imiter Renard et filer à la moindre offense. Car vous ne pouvez pas faire un journal sans nous, et, s'il y a quelqu'un que vous devriez retenir, même par force armée, c'est Renard. »
Moi, je remercie, je balbutie : « J'ai mes ennuis aussi, et même mes ennuis d'argent, sous une autre forme. Trois ou quatre heures par jour je me désespère. J'ai une bonne femme qui me remonte. Si Veber a, comme moi, une bonne femme intelligente - et je n'en doute pas, - le voilà sauvé. Tout s'arrange ».
Et je répète : « Tout s'arrange. » J'ajoute : « Il y a une ligne de sommets, et une autre de bas-fonds. Il s'agit

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