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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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considèrent le lapin, déjà si troublant chez nous, comme un grand magicien.
Claudel, l'auteur de Tête d'or, et de La Ville, qui passe parmi nous pour un homme de génie, et qui est vice-consul à New York, à Boston, en Chine, etc., reste au bureau par devoir, fait des rapports par devoir, au point même qu'il en fait qu'on ne lui demande pas.
- Je suis payé, dit-il simplement. Je tâche de gagner mon argent.
Ce soir, au cirque, un dompteur montrait à la fois des poules, des renards et des chiens. Les renards s'avançaient amicalement vers les poules : c'était le progrès. Les poules n'avaient pas l'air trop rassuré : c'était la routine. Grâce aux chiens pacificateurs, tout allait bien : c'était la civilisation.
Un classique est un écrivain qui veille sur la tradition.
15 mars.
Le petit frisson avant-coureur d'une belle phrase qui vient.
    Je voudrais, oui, je voudrais aussi qu'elle allât un peu à la messe. Ça ne me déplairait pas. Elle y montrerait sa toilette. Elle serait la plus belle. Elle ne prierait pas Dieu sottement comme une dévote inintelligente. Elle lui sourirait, lui ferait bon visage, avec l'air de dire : « Vous savez ? Si vous existez, tant mieux. Je le souhaite, mais vous ne me faites pas peur. Je vous aime sans trembler. » Elle n'irait pas aux vêpres : c'est trop froid.
16 mars.
Hier, été pour la première fois de ma vie à l'Opéra.
Jean Grave, un ouvrier à figure intelligente et douce. Naturellement, il fonde un journal. Il a déjà les 300 francs du premier numéro. Il me raconte qu'un propriétaire a cédé à quelques socialistes un hectare de terrain en pleine campagne. Ils le feront clore, y mettront quelques animaux et, sans travailler, y vivront « des fruits de la terre ». Ils se vêtiront des peaux de leurs bêtes, etc., etc., et les bêtes vivront écorchées. Pourvu que tout cela ne finisse pas mal, aux Folies-Bergère.
19 mars.
- Oh ! maintenant, dit Rod, auteur pour institutrices, je n'ai plus de prétentions.
- Il ne vous reste que celle de ne plus en avoir.
Chez Claudel, dîner et soirée fantômatique. Sa soeur me dit :
- Vous me faites peur, Mr. Renard.
    Vous me ridiculiserez dans un de vos livres.
Son visage poudré ne s'anime que par les yeux et la bouche. Quelquefois, il semble mort. Elle hait la musique, le dit tout haut comme elle le pense, et son frère rage, le nez dans son assiette, et on sent ses mains se contracter de colère et ses jambes trembler sous la table.
Atelier traversé de poutres, avec des lanternes suspendues par des ficelles. Nous les allumons. Des portes d'armoires que Mlle Claudel a plaquées contre le mur. Des chandeliers où la bougie se plante sur une pointe de fer et qui peuvent servir de poignards, et des ébauches qui dorment sous leur linge. Et ce groupe de la valse où le couple semble vouloir se coucher et finir la danse par l'amour.
Je n'ai pas entendu un mot de ce que disait la mère. Et, pourtant, à chacune de nos paroles elle répondait, faisait sa petite réflexion pour elle seule, ou poussait un soupir.
Et le musicien qui a vécu deux ans avec Claudel, et qui vient seulement d'apprendre que Claudel est un littérateur ! Presque un vieillard, aux cheveux rares, sans crâne, et doux, et bien élevé, qui vous serre les mains comme s'il voulait d'un seul coup prendre possession de toute votre sympathie. Il ne se fait pas prier pour jouer. Il attendait. Son violon dort au chaud dans des coussins brodés de palmes. Et il joue sans pose, les yeux fermés. Après un morceau, il dit : « Qu'est-ce que je vais vous jouer maintenant ? »
    Quand visiblement nous sommes un peu las, il dit : « Faut-il le remettre ? », avec un air de dire : « Il faut donc le remettre ! »
Comparaison entre la musique et la littérature. Ces gens voudraient nous faire croire que leurs émotions sont plus complètes que les nôtres. Nous éprouvons tout ce que vous éprouvez, plus... Plus quoi ? Un petit plaisir sensuel, la griserie que donnerait un verre d'alcool. J'ai peine à croire que ce petit bonhomme à peine vivant aille plus loin, dans la jouissance d'art, que Victor Hugo ou Lamartine, qui n'aimaient pas la musique.
On parle de Schwob, de ses cheveux à la pirate. Il ne voit plus aucun de nous. Et sa fureur parce que Mme Léon Daudet citait à table un vers de lui ! Et sa sourde haine parce que j'ai écrit Il faut qu'une porte soit fermée !...
- Est-ce vrai, mademoiselle, qu'à Guernesey les rochers où s'est assis Victor Hugo sont

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