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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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avant de se coucher : « Vraiment, puisqu'ils sont si gentils, Je vais encore leur donner un volume de mon Journal avant de mourir. »
Et, moi, j'avais envie d'aller tout de suite à n'importe quelle distribution de prix, prononcer mon premier discours. Mes gestes marchaient tout seuls et ma voix donnait d'elle-même.
    Oui ! je suis heureux, ce soir, parce que quelques hommes de goût m'ont témoigné leur admiration. Mais demain ?
La joie, peut-être, d'un grand homme qui devine que ses enfants ne seront rien.
Le bois du foyer bouge comme si la chaleur y faisait remuer des bêtes endormies.
5 mars.
Il a la manie de vous mettre sous le nez des phrases de Mallarmé, et de dire : « Lisez-moi ca ! » On lit, on a lu, et on reste muet (heureusement !) d'admiration.
5 mars.
Éloi a nettement conscience de son énorme vanité ; mais il espère qu'à force de volonté il la réduira au minimum de ridicule, et qu'à force de talent il la fera passer par-dessus le marché.
Chez Jean Veber. Comment ! C'est ce monsieur qui est debout, une jambe à cheval sur une chaise, et qui se dandine, et qui bavarde, qui ne pense pas uniquement à ce qu'il fait, qui voudrait me faire ressemblant ?
Et il ne veut pas avoir l'air de s'appliquer. Sa première esquisse est manquée. Sa jeune femme, qu'il consulte, ne le lui cache pas. Il recommence, et elle est là, près de lui, toute petite et se haussant.
    Elle le guide. On dirait qu'elle apprend à dessiner à un enfant. Elle lui dit : « L'oeil plus perçant. Tu plisses trop le front. Les sourcils sont moins noirs. Pince un peu la bouche ! » Et il répond : « C'est vrai, c'est vrai. » Ah ! madame, ce que je verrai de bien, signé Jean Veber, je dirai que c'est vous qui l'avez fait.
Ils affirment qu'ils sont heureux. Elle ne bouge pas. Elle porte une longue chaîne sur sa robe qui lui monte jusqu'au cou.
En préparation, des culs-de-jatte qui s'arrachent un louis d'or, par terre, dans des flaques de sang. Au mur, des croquis de Barrès en singe, en hideux oiseaux : corbeau ou chouette. Emballement sur Willette. Lautrec dessine admirablement. Vallotton, borné, manque d'imprévu.
7 mars.
Chez Pottecher, à Bellevue, Claudel nous lit sa traduction littérale de l'Agamemnon d'Eschyle. Il s'est d'abord fait prier assez modestement, puis il commence, de sa voix de machine à parler, et ses lèvres s'ouvrent comme des éclairs de chaleur. Sa tête est d'un ton cendré. Il a l'air d'avoir brûlé. Il admire ou déteste avec gaminerie. Il dit :
- Il n'y a rien de plus beau au monde que le théâtre chinois. Quand on a vu ça, on ne peut plus rien voir.
Puis il nous lit une correction de Tête d'or, qu'il refera toute sa vie.
    - Vous avez raison, lui dis-je. Nous devrions, chaque année, au printemps, passer un mois à corriger notre oeuvre.
Je lui dis qu'il se grise d'images, et qu'il ne faut confondre l'image vaguement belle avec l'image exacte, bien supérieure.
Il trouve que Boileau est un grand poëte pittoresque, et le seul qui ait su faire le vers.
La certitude de n'être pas seul qui console même dans un cimetière.
10 mars.
Mon pays, c'est où passent les plus beaux nuages.
Et Dante qui s'évanouit à chaque instant.
12 mars.
Comme nous apprenions coup sur coup plusieurs morts, elle ne manqua pas de dire : « Crois-tu qu'on décanille, hein ? »
13 mars.
Nous avons bavardé plus de cinq heures, et il ne m'en reste rien. Nous méprisions tantôt l'argent, tantôt le travail qui ne rapporte pas. Je disais : « J'aime la solitude », et Claudel me répondait : « Vous ne savez pas ce que c'est que la solitude. Moi, je l'ai connue dans un désert d'Amérique, à 80 kilomètres de Boston, où mon ami le violoniste composa un air où le désert était tout entier. »
Ce qu'il y eut de mieux, ce furent quelques phrases de La Bruyère que nous lut Claudel. Elles nous donnèrent l'impression que nous ne lisons jamais La Bruyère. Et Claudel parle de tuer en lui toute création, toute inspiration.
    Déjà, il ne lui consacre plus qu'une heure par jour, et, tandis qu'il passe d'une conviction à une autre, son visage joue tout un orage.
- Dans la métaphore, dit-il, le premier terme de la comparaison disparaît. Dans l'image, les deux termes subsistent et ne sont qu'ajoutés l'un à l'autre.
Et il parle des Indiens qui imitent avec la bouche le bruit d'un insecte qui ronge le bois, et qui passent de longs mois à chercher une formule de trois ou quatre vers pour incanter une rivière, et qui

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