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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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parfaites, je ne lis plus.
A cette femme qui s'inquiète de ce que deviendra son petit héritage après sa mort, il ne manque que la bonté.
La vache souffla, prit délicatement entre ses cornes le petit enfant qui se trouvait sur son chemin, et l'envoya dinguer en l'air.
Poules sous la pluie. Leur étroit petit manteau noir ou gris tout collé, plaqué sur les eaux.
Le chat assis, la queue ramenée en crochet sur ses pattes.
La rivière. Relié par un fil à la vie des poissons qu'on ne voit pas.
Temps maussade et pluvieux où l'on n'est bien qu'à la cuisine. Le bois qui brûle par le milieu et écume par les deux bouts. Les solives écailleuses, la porte dont un coin est rongé par les souris. La poêle pendue comme un balancier immobile, les torchons sales mais pas secs, la cocotte qui a une patte de trop, le réveille-matin qui bat comme un coeur suffoqué, la louche creuse et polie comme une calotte d'évêque. Des clous au mur qui sont tous commodes, une table aux jambes nues.
    La pincette toute en jambes, la pelle qui vit sur la tête. Le panier à salade enflé comme une crinoline, le balai comme une barbe rissolée d'homme roux. La terrine rose comme une tête de veau. Le savon en pierre de taille.
10 décembre.
La journée Sarah Bernhardt.
Quand elle descend l'escalier en escargot de l'hôtel, il semble qu'elle reste immobile et que l'escalier tourne autour d'elle.
A table, c'est hallucinant. Chaque fois que je veux m'asseoir, je trouve, à cette place, une carte au nom de Bergerat.
A côté de Georges Hugo qui a fait couper sa barbe et sans doute l'a passée à Léon Daudet, que j'aperçois tout barbu, Bauër sue, et s'essuie comme une table. J'imagine qu'il va demander au garçon une éponge de voiture. Magnifique comme un soleil de confiserie, il déborde sur la pâle Sarah. De son regard, elle soulève un monde. C'est une image qui fait des gestes et qui a des yeux vivants. Sardou l'embrasse, qui ressemble à un Coppée de coulisses.
- J'ai écrit votre nom hier, me dit Haraucourt.
- C'est gentil, ça.
- Sur une lettre de faire-part de mon mariage.
Je ne sais pas mettre une mantille à une femme.
    Je mets à l'envers celle de Mme Rostand, et je ne lui donne pas bien la corne. Je lui dis :
- Il faudra que, moi aussi, un jour que nous serons seuls dans un petit coin, je vous baise la main pour voir ce que ça fait.
- C'est un peu au-dessus du poignet, dit-elle, que ça commence à avoir du goût.
Sarah se lève. Même jeu adorable dans l'escalier. En haut, Jules Chancel qui l'attend et lui saisit la main au passage.
A la Renaissance. Elle a voulu être trop bien. Elle joue Phèdre comme une scène d'Amants, mais elle joue admirablement l'ignoble chose de Parodi, Sarah, un extraordinaire « accroche-coeurs », si l'on peut dire. Elle n'a peut-être pas de talent, mais, après sa journée qui est la nôtre à tous, où nous nous aimons, où nous nous adorons, on se sent renouvelé et grandi ; et cet état de surexcitation est un bienfait, et si, le lendemain, on n'a pas de talent, on n'est qu'un crétin.
A deux fauteuils de moi, Jules Jaluzot applaudit les vers de Rostand, de ses larges mains commerciales. A part ça, il dort.
La Jeunesse est commissaire. Il sera tout à l'heure sur la scène. Avec son chapeau à claque, son dos voûté, sa maigreur, sa petite figure simiesque, il personnifie les petits vieux, au point que sur son passage tout le monde crie : « Quoi ! c'est ça La Jeunesse ? » et qu'il en rougit.
Succès inouï pour Rostand, qui dit avec un aplomb parfait, grâce aux yeux de Sarah Bernhardt.
    Succès comme si son sonnet était en cinq actes, et les applaudissements pour Rostand se confondent avec ceux qui vont à Sarah. C'est quelque chose qui n'en finit pas, et qui est inoubliable. Et elle est bien la seule qui supporte le trône, et nous sommes tous ses fidèles sujets prosternés.
Dans la loge de sa mère Maurice pleure. Je dis à Sarah Bernhardt :
- Jamais je n'ai autant regretté de n'être pas un grand poëte.
- Mais vous en êtes un !
- Non ! Non ! Je ne fais que de toutes petites choses, mais je sais voir et admirer les plus grandes, et je suis, en ce moment, bien heureux.
- Vous me trouvez bête, n'est-ce pas ?
- Je vous trouve admirable.
- Je veux être bête aujourd'hui. Voulez-vous m'embrasser ?
Je crois bien que je me le suis fait répéter. Elle m'embrasse franchement sur les deux joues. Je l'embrasse un petit peu, du coin de la bouche, n'osant pas appuyer. Et je dis aux

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