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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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avant sa mort, et que je ne l'ai pas fait.
Autrefois, nous le faisions, lui et moi. Il y eut un temps où, par esprit d'homme fort, je m'en abstins, à l'arrivée comme au départ. Si mon attitude l'a étonné, il ne s'est pas trahi. Plus tard, j'ai recommencé, mais seulement au départ ; pour lui, il en avait bien perdu l'habitude. Il ne me rendra jamais mon baiser. Il lui faudrait une grosse émotion que je ne prévois pas. Quand c'est l'heure de nous quitter, il y a déjà longtemps qu'il se tait, et que je ne dis rien. Tout à coup : « Allons ! » dit-il. Et il me tend la main. Je m'approche de lui. Il a toujours un léger mouvement de recul ; vite, il comprend : « Eh ! oui, se dit-il sans doute, il veut m'embrasser. » Et, comme je l'attire à moi, il ne résiste pas. Quel singulier baiser, appuyé et pourtant froid, inutile et nécessaire ! Baiser de lèvres absentes sur une joue qui n'a aucune saveur, ni celle de la chair, ni celle du bois. Il ne sent rien à sa joue, moi, rien à mes lèvres. Le frisson reste au coeur.
    Nos pères ne se jettent pas à notre cou. Ils ne nous étouffent pas dans leurs bras. Ils tiennent à nous par d'invisibles attaches, par de souterraines racines. On les aime bien, et, après leur mort, on les aimera bien. On pensera souvent à eux. On ne se lassera pas d'en parler.
- Un père, dit Bernard, c'est solide et sûr. Chez la meilleure mère, il y a de l'hypocrisie, de la ruse et de la méchanceté, non pour son fils, mais pour les êtres devenus chers à son fils. Il ne nous arrive, d'ailleurs, de vivre en camarades, mon père et moi, que quand le reste de ma famille n'est pas là. Alors, cette confiance passagère, de lui à moi, est quelque chose de très doux. Quand j'ai écrit quelque chose de bien, il ne me le dit pas. Il le dit, quand je ne suis pas là, à des amis, à des parents, à ma mère, qui me le rapporte.
- Oui, dis-je, nos pères sont très intelligents. Moi, j'admire le mien, mais il est évident qu'il souffre parce que je ne m'intéresse pas aux choses qu'il aime. Nous vivons en ennemis qui ne se font jamais de mal, qui ne luttent que pour de toutes petites causes, et qui, s'il le fallait, se jetteraient au feu l'un pour l'autre. Sur ma table, à la Gloriette il a vu longtemps les Histoires naturelles et La Maîtresse. Il ne me les a pas demandés ; je ne les lui ai pas offerts. Il n'avait qu'à les prendre : il ne les a pas pris. Longtemps après il écrit à ma femme : « Si j'étais à Paris, j'achèterais peut-être les deux derniers livres de Jules. »
    Je les lui envoie ; il ne m'en accuse même pas réception. Bien plus tard il écrit encore à ma femme : « Je voulais vous faire quelques observations sur les livres de Jules ; mais, après réflexions, je trouve que c'est inutile. »
- J'avoue, dit Tristan, que je ne lis plus Paul Adam, et que c'est devenu une fatigue pour moi de lire Schwob.
Revue de tous ceux que nous lisons toujours, quelquefois ou jamais, des contemporains, ou de toutes les littératures.
- Ma soeur, dis-je, aurait voulu être mon Eugénie de Guérin mais je n'étais pas Maurice de Guérin. De là, un malentendu qui dure toujours.
Tristan lit très peu d'Hervieu, Coppée, les Lettres de l'ouvreuse a cause des noms cités, Aurial, jamais les Margueritte, ni Theuriet ni Paul Arène, Shakespeare quotidiennement. Il aime Rabelais, Marivaux, Molière, Jean-Jacques Rousseau : la première partie des Confessions.
Les pattes des oiseaux font sur la neige de petites branches de lilas.
16 décembre.
Ma moralité m'est nécessaire comme mon squelette.
Sur un signe de Sarah Bernhardt je la suivrais au bout du monde, avec ma femme.
Rousseau, je le lisais en sommeillant, et je veux supprimer chez moi ce qui de lui me faisait sommeiller.
    17 décembre.
Un matin si gris que les oiseaux se recouchaient
Le directeur du Rire tenant à Léandre un discours subtil pour lui prouver que, si désormais on lui prend moins de dessins, par compensation on les lui paiera moins cher.
19 décembre.
A seize ans il nous faut un gros quartier de maîtresse.
Des sommeils épais qui sont comme des échantillons de mort.
22 décembre.
Cette forme de dialogue intermittent que je croyais avoir inventée pour L'Écornifleur, voilà que je la retrouve dans les livres de la comtesse de Ségur.
24 décembre.
Dîner Veber.
- Ma femme, raconte Capus, me dit : « J'ai rêvé de mort, cette nuit, et je n'aime pas ça. » Je me moque, et, par hasard, lui demande où elle va

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