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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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Rostand, à d'autres :
- C'est moi, qui suis content ! Sarah Bernhardt m'a embrassé ! J'ai embrassé Sarah Bernhardt.
Et Maurice, qui pleure toujours, dit :
- On ne connaît pas ma mère. C'est une bonne, une brave femme.
Je retourne vers elle et je lui dis :
    - Tenez, madame, voulez-vous que je vous dise ? Eh ! bien, vous êtes une brave femme.
Elle n'a peut-être pas entendu le mot, mais Rostand :
- C'est bien ce qu'il fallait lui dire.
Et nous voilà attendris, tout fondants, jusqu'au soir.
Ubu Roi. La journée d'enthousiasme finit dans le grotesque. Dès le milieu du premier acte on sent que ça va devenir sinistre. Au cri de « Merdre », quelqu'un répond : « Mangre ! » Et tout sombre. Si Jarry n'écrit pas demain qu'il s'est moqué de nous, il ne s'en relèvera pas. Bauër s'est trompé gros comme lui. Et nous nous sommes tous trompés, car, si je savais qu'à la lecture Ubu Roi résistait mal jusqu'au bout, je ne prévoyais pas cet effondrement. Pourtant, Vallette dit : « C'est drôle », et l'on entend Rachilde crier : « Assez ! » à ceux qui sifflent.
Je dis à Mme Rostand :
- C'est le talent du mari qui oblige une femme à rester honnête. Pour moi, je sens que jamais je n'oserais faire du chagrin à un homme qui a du génie.
Schwob me présente à Montesquiou, qui a une figure vieillie et dit : « Très flatté », du bout d'un bec d'oiseau de proie qui ne se nourrirait que de vanités.
Oui, oui, finissons-en : Sarah, c'est le Génie.
Elle me remet droit, comme la foudre.
    Imaginez le plus bête des hommes. Il n'a pas de talent. Il le sait et se résigne, mais, parfois, il se dresse avec un éclair dans les yeux et se dit : « Ah ! si Sarah voulait dire seulement une ligne de moi ! Demain ! je serais célèbre. Sarah c'est le génie. »
Imaginez le plus laid des hommes. Nulle ne l'aimera. Il le sait, et se résigne, mais, parfois, il songe : « Ah ! si je pouvais vivre un peu près de Sarah, dans un petit coin ! Je me croirais le plus aimé des hommes. Je ne demanderais rien aux autres femmes. Les autres, c'est très gentil, très joli, mais, Sarah, c'est le génie. »
Dans la foule qui vous attend à la porte, il y a des riches qui ne valent que parce qu'ils vous admirent, et il y a des misérables qui se haussent comme des grands de la terre parce qu'ils vont voir passer Sarah. Et il y a peut-être un criminel, un homme abandonné de tous qui s'abandonne lui-même, et qu'on va saisir dès que vous aurez passé. Mais il se dit : « Ça m'est égal, maintenant, de mourir. J'ai vu Sarah avant de mourir. O Sarah, vous êtes le génie ! »
Et, chaque soir, il y a un heureux qui voit Sarah pour la première fois.
11 décembre.
Je me sens plein de génie, et il n'est pas possible que je n'écrive jamais quelque belle page.
    12 décembre.
André Theuriet, un poëte vraiment médiocre, qui s'est beaucoup promené dans la Nature, mais avec un mouchoir sur les yeux.
Quel tableau pour un peintre ! Un cimetière de vaisseaux noyés au fond de la mer.
13 décembre.
Je ne peux plus relire mes livres, parce que je sens que j'en ôterais encore.
L'arbre ouvre ses branches. Il a des ailes du haut en bas.
L'oiseau passe d'un bâton à l'autre, comme un balancier.
A ceux qui me disent : « Faites du roman », je réponds que je ne fais pas de roman. Ce que je produis, je vous l'offre dans mes livres. C'est à peu près la récolte d'une année. Dites si elle est bonne ou mauvaise, mais ne dites pas que vous auriez préféré autre chose.
Nous n'avions pas les mêmes pensées, mais nous avions des pensées de même couleur.
Un malin, Dieu, qui nous a ouvert l'espace sans nous donner des ailes.
Jusqu'ici, je n'ai été qu'une taupe.
Nous parlons de nos pères, qui se ressemblent, de cette sorte de pudeur qui nous sépare d'eux.
- J'ai gardé l'habitude d'embrasser mon père matin et soir, dit Bernard. Ce n'est qu'une habitude, et mes amis peuvent y voir la démonstration d'une tendresse qui n'est ni dans ma nature, ni dans celle de mon père.
    - Moi, dis-je, je vois le mien à peu près une fois par an. Quand je le revois, je ne l'embrasse pas, je ne lui donne qu'une poignée de main. Nous resterons ensemble quelques jours. Je l'aurai pour ainsi dire sous la main ; il est donc inutile que je fasse des frais de tendresse qui nous gêneraient, mais, quand nous nous quittons, je l'embrasse : je ne le reverrai peut-être pas. Plus tard, il me serait désagréable de me rappeler que je pouvais l'embrasser encore une fois

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