Journal Extime
qu’elle avale à une vitesse étonnante. Cela ne l’a pas empêchée de pondre trois œufs quelle couve consciencieusement. Je doute que cette couvée tardive et parcimonieuse aboutisse à quelque chose, mais qui sait ? Sans doute a-t-elle lu Guillaume le Taciturne : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »
Juillet s’épanouit dans une canicule. C’est le mois de l’été actif. On travaille encore. Il y a les forçats du Tour de France. Bientôt ce sera, avec août, l’été passif. Maisons et magasins fermés, torpeur généralisée. On fera la queue devant la seule boulangerie ouverte du canton. C’est qu’ici nous sommes à la fois à la campagne et à Paris. Pas question d’estivants. Les vacances vident la région. Heureux présage : je vois passer deux hérons dans mon ciel. Ils sont facilement reconnaissables à leur cou replié en « S » à l’opposé des flamants roses qui volent le cou tendu à l’horizontale.
La mémoire immédiate. On récite au « sujet » une série de chiffres de plus en plus longue. Il faut qu’il répète de mémoire. On mesure ainsi sa mémoire immédiate laquelle se révèle très variable d’un individu à l’autre. Les personnes ayant une mémoire immédiate faible ne peuvent lire de très longues phrases. En effet pour comprendre une phrase longue, il faut en garder le début en mémoire, ce qui n’est pas à la portée de tous. Certains perdent le fil et se noient dans la phrase de Proust ou de Thomas Mann.
Pluie. Je partage l’assouvissement de mon jardin buvant de toutes ses fissures. Les taches rousses de la prairie s’effacent avec une rapidité surprenante. Une odeur puissante monte de la terre fécondée.
Convié à un jeu radiophonique intitulé « Si j’étais le vizir ». On se fait attribuer un portefeuille ministériel et on annonce son programme. Je demande la Défense nationale. Je débaptise aussitôt mon ministère pour l’intituler « de la Civilisation ». Civilisation : opération par laquelle les militaires sont transformés en civils. Par exemple le défilé militaire du 14 Juillet doit faire place à une parade dont Jean-Paul Goude nous a donné l’exemple le 14 juillet 1989. L’avion Rafale doit faire place à une génération de Canadair destinés à lutter contre les incendies de forêt. Le porte-avions Charles de Gaulle doit devenir un ensemble de courts de tennis, une sorte de Roland-Garros flottant, etc.
Ce matin Ghislaine, ma petite facteuse, sonne à ma porte. Je crois d’abord à une lettre recommandée. Pas du tout. C’est pour me dire qu’elle n’a aucun courrier à me remettre. Comme c’est la première fois que cela se produit, elle a craint que je l’attende en vain.
Au cinéma du supermarché des Ullis, péplum américain avec Marlon Brando, Charlton Heston, Kirk Douglas, etc. La lumière revient, on se lève et j’entends une petite fille s’exclamer : « Ah, en ce temps-là les hommes étaient quand même plus beaux qu’aujourd’hui ! »
Promenade crépusculaire sur le « plateau » qui est comme l’amorce de la grande plaine beauceronne. À cinquante kilomètres se dresse le clocher de Chartres. D’énormes faucheuses-batteuses évoluent lentement en oscillant comme des bateaux, entourées d’un glorieux nuage de poussière. L’une d’elles s’arrête à ma hauteur et le conducteur me fait monter près de lui. La cabine est insonorisée et climatisée. Il m’explique qu’on récolte ainsi de préférence en fin d’après-midi, car c’est alors que le taux d’humidité des champs est le plus faible. La fertilité des champs est devenue formidable ces dernières années : cent quintaux à l’hectare. En revanche le besoin de main-d’œuvre s’est effondré. Deux ouvriers font aujourd’hui le travail de cent il y a un siècle. Tout cela me paraît inquiétant. Pendant la guerre je travaillais aux champs en Bourgogne. C’était très dur, mais la récolte créait une petite société réunie comme pour une fête. Surtout les jours où la batteuse était en action. Tout le village participait au travail avec une quantité fantastique de nourriture et de boissons.
Mort de K.F. Celui qui n’a pas perdu son meilleur ami ne sait pas ce qu’est la mort. Levée du corps à l’hôpital Cochin. Je vois son visage cireux et émacié dans son cercueil. Cimetière du Père-Lachaise.
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