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Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Tournier
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mufle épais et sensuel, mais triomphalement charnelles, elles sont la négation des mannequins squelettiques recherchés pour les défilés de mode. C’est ainsi que la peinture traditionnelle de Rubens à Renoir voulait que fût la femme. C’est la fusion en une seule pulsion de l’appétit alimentaire et du désir érotique.
     
    Je comprends soudain la merveilleuse fécondité de l’opposition faim-soif. La faim de chair, de la chair d’autrui, anthropophagie. Mais au contraire soif de tendresse. Spiritualité de la soif. Seule la soif mène à l’ivresse. Les curés savent ce qu’ils font en se réservant la communion sous l’espèce du vin et en délaissant au commun des fidèles la communion sous l’espèce du pain. Des choses si simples et si évidentes qu’il faut du génie pour les découvrir, mais ensuite elles brillent pour l’éternité.
     
    Des orages dans le voisinage rafraîchissent la canicule pesante d’hier. Des rafales de vent sont envoyées du sud.
     
    Jeux Olympiques. Je suis avec passion les épreuves de l’athlétisme notamment les athlètes féminines qui triomphent si bellement de l’affreuse « féminité » traditionnelle. Je propose une idée concernant les épreuves de course. Elles se jouent désormais sur des fractions de seconde. Les moindres détails de leurs conditions ont leur incidence. Or l’un de ces détails, c’est la circularité des pistes. Tourner en rond, prendre des tournants, indiscutablement cela coûte des fractions de seconde. Il est certain qu’on s’en avisera un jour ou l’autre et qu’on décidera de ne plus courir que sur des pistes rectilignes. C’en sera fini du stade ovale classique avec ses gradins en corolles.
     
    La marée a une heure de retard chaque jour. En somme elle fonctionne sur un cycle de vingt-trois heures. Si elle fonctionnait sur un cycle de vingt-quatre heures, il y aurait une terrible monotonie dans ces marées hautes et ces marées basses se reproduisant toute l’année à des moments identiques de la journée et de la nuit.
     
    Soleil. Je lui tends ma peau pour me conformer à la nudité estivale. Le corps s’il est blanc et fragile ressemble à un fœtus abandonné par ses vêtements, comme par sa mère. Le bronzage lui confère une faible protection qui le rapproche un peu des animaux à plumes, à poil ou à écailles.
     
    Projet d’un « charnier » à installer dans mon jardin : un poteau d’environ deux mètres surmonté d’un plateau hérissé de pointes. J’y fixerais des lambeaux de viande et de poissons pour attirer et retenir les rapaces diurnes et nocturnes grands ducs, éperviers, buses et émouchets.
     
    Affreuses nouvelles de P.H. Il se meurt d’un cancer généralisé. Comme la chimiothérapie lui a fait perdre tous ses cheveux, je lui envoie l’un de mes petits bonnets de laine (non pas tricotés, mais crochetés, attention, ne pas confondre avec ceux de Cousteau !). J’y joins une attestation manuscrite : je l’avais sur la tête en écrivant mes livres, ce n’est donc pas seulement un couvre-chef, mais un couvre-chef-d’œuvre  !
     
    Magnifique orage. Je dîne dans la maison de thé avec C.B. en regardant le jardin fumer et fulminer, tandis qu’un épais rideau de pluie descend du toit à nos pieds.
     
    Désolation de voir finir ce mois de juillet qui est le mois de l’année que je préfère, royal et juvénile à la fois, couronné de lys et parfumé de tilleuls, le meilleur de l’été. Août, c’est l’immobilité estivale qui bascule lentement vers les putrescences de l’automne.
     
    C.H. vient me voir avec sa fille Angela de toute beauté du haut de ses onze ans. Elle est si saine, si épanouie, si apparemment heureuse que je me demande si elle aura jamais assez besoin de quelqu’un d’autre pour sortir d’elle-même. Les petites filles m’ont souvent donné cette impression de suradaptation, de bonheur égoïste inentamable, moins fréquent, il me semble, chez les garçons.
     
    Une idée à creuser : l’influence de la langue parlée depuis l’enfance sur la morphologie du visage. C’est la langue anglaise ou portugaise qui modèle le faciès typique de l’Anglais ou du Portugais, etc. Ce serait l’exemple le plus frappant de l’influence de la culture sur la nature, du triomphe de l’intelligence sur le physique. Dès lors la beauté caractéristique de tel ou tel type national découlerait directement de la beauté de la langue parlée…
     
    La

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