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Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Tournier
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m’aiderait peut-être à réussir là où Gary a échoué.
     
    Visite au Louvre. Je remarque dans ce public cosmopolite de ravissants visages qui me détournent des chefs-d’œuvre exposés. Puis je me fais la réflexion suivante : il est bien évident que ces « visages ravissants » sont ici plus nombreux et plus évidents que partout ailleurs. Ne serait-ce pas justement les chefs-d’œuvre qui les révèlent et en quelque sorte les « allument » ? Je m’amuse des réflexions suscitées par les tableaux. Plusieurs touristes s’avouent déçus par les dimensions de La Joconde. Comment un tableau aussi célèbre peut-il être aussi petit ? «  Ach, ich hatte es mir grösser vorgestellt !  », s’exclame une Allemande. On a eu la malignité de placer côte à côte le François 1 er de Clouet et celui du Titien. Quelqu’un déclare : « Je trouve celui du Titien plus ressemblant ! »
     
    Les voyages me pèsent de plus en plus. Certes ils me font du bien physiquement et moralement, mais à quel prix ! C’est ce qu’on appelle une médecine de cheval. Quand je pars, je m’accroche à la joie anticipée du retour. Je me redis ce mot de Talleyrand à Louis XVIII. Napoléon venait de débarquer en France et remontait irrésistiblement vers Paris. Talleyrand dit au roi : « Sire, si vous voulez revenir, il faut partir ! »
     
    Visite à la médiathèque d’Issy-les-Moulineaux. Un petit homme m’aborde et se présente comme le maire de la commune. Il me remercie des belles pages que j’ai consacrées dans Les Météores à l’usine d’incinération des ordures ménagères de la ville. Cette usine lui vaut de dures attaques, mais la commune en a grand besoin pour ses finances. Je lui dis que je continue à l’admirer et que je regrette que l’on n’ait pas confié à son architecte la construction du Centre Pompidou.
     
    Une berce du Caucase apporte une note mystérieuse à mon jardin. Cette plante gigantesque – facilement trois mètres de haut, des fleurs en ombelles d’un diamètre imposant – n’apparaît que tous les quatre ans et chaque fois dans des lieux différents du jardin. Toutes mes tentatives pour récolter et replanter les graines ont échoué. Cette année elle se dresse majestueusement le long du mur de l’église.
     
    Grief : motif de plainte que l’on estime avoir contre quelqu’un. Grièvement gravement (au physique seulement). Cette nuit, nuit « griève ». Insomnie. Je trouve un « motif de plainte » contre quelqu’un de mon entourage. Je m’en empare. Fiévreusement, je l’aiguise, je le hérisse de pointes. Puis je m’en larde de coups. L’aube pâlit quand je m’endors enfin d’un mauvais sommeil, couvert de blessures que je me suis infligées avec cette arme imaginaire.
     
    La prochaine parution de mon Roi des Aulnes en hébreu me vaut la visite d’un journaliste et d’un photographe israéliens. Le journaliste se place à côté de moi devant l’église de Choisel et dit au photographe : « Alors tu nous prends ensemble et tu t’arranges pour qu’on voit bien la synagogue derrière nous. » Je bondis : « Mais Monsieur, ce n’est pas une synagogue, c’est une mosquée ! »
     
    Mon neveu Éric m’emmène à quelques kilomètres dans la forêt de Rambouillet. Il y a là une réserve de huit mille hectares où la nuit tombée on peut voir (vaguement) et entendre (distinctement) les cerfs qui sont en plein rut. Leur excitation les détourne de prendre garde à nous et nous pouvons les approcher à moins de trente mètres. Pour les retenir, les gardes-chasse entretiennent un champ de maïs et un carré de luzerne. Ils n’en demandent pas davantage. Le garde qui nous accompagne raconte qu’au Canada on piège les renards et les lynx en détournant leur attention du piège à l’aide d’un simple bouquet de plumes attaché en évidence à une branche d’arbre. L’animal hypnotisé par cet objet ne prend pas garde où il met les pieds.
     
    Visite au Grand Palais de l’exposition « L’âme au corps ». Ce qui me surprend, c’est l’interprétation donnée ici de la sculpture de Degas Petite Danseuse de quatorze ans. Je n’y voyais à ce jour qu’une gamine amusante – plutôt de onze ans que de quatorze – avec une frimousse naïvement offerte. Le commentaire qui en est proposé en fait un petit monstre bestial, primitif et totalement dépravé. Citation à vérifier de Zola à propos de Nana, elle aussi

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