Journal Extime
la scène.
Je reçois ce matin le Catéchisme de l’Église catholique (1992) dont la publication fait grand bruit. Est-ce le hasard ou le doigt de Dieu ? Le livre s’ouvre tout de suite entre mes mains aux pages 462-463. Il s’agit du Cinquième Commandement. Page 462 on le cite : Tu ne tueras pas. Page 463 on le commente : la peine de mort est justifiée « dans les cas d’extrême gravité ». Staline, Hitler et Pol Pot auraient applaudi, persuadés qu’ils n’avaient jamais donné la mort que dans ces cas-là. Reste à les définir. On nous en laisse le soin. Le plus grave de tous me paraît être celui des prélats catholiques qui bafouent le Christ. Les soldats romains qui lui crachaient au visage « ne savaient pas ce qu’ils faisaient ». Les prélats auteurs de ce livre savent ce qu’ils font. Qu’on les mette donc contre un mur et qu’on les fusille.
Alors pas de catéchisme ? Je n’en connais qu’un à ce jour, la musique de J.S. Bach qui rayonne de lumière et de joie. La foi ardente du cantor de Saint-Thomas nous console de notre impiété et de l’abjection de nos pasteurs.
Entendu Edmond Michelet raconter sa captivité à Buchenwald. Pour survivre, il fallait le soutien moral d’une idéologie. Les pures victimes – déportées sans raison – tombaient comme des mouches. Un petit trafiquant de marché noir pleurnichait : « Mais pourquoi on m’a mis ici, moi, je n’ai rien fait ! » Et Michelet lui expliquait : « C’est justement parce que tu n’as rien fait que tu es en train de crever ! »
NOVEMBRE
Chaque nuit, longue et heureuse insomnie au cours de laquelle j’écoute la radio. On rediffuse des très anciennes émissions dialoguées (le « Bon plaisir de… » par exemple) et ce sont souvent d’anciens amis disparus qui s’installent pour une heure à mon chevet, Jean-Louis Bory, Maurice Clavel, Max-Pol Fouchet, Armand Lanoux, etc. L’étrangeté de ces visites nocturnes et macabres s’aggrave parfois du son de ma propre voix, comme lorsque la radio était mon métier. Rien de plus effrayant que la voix enregistrée d’un mort. Sa photo ou son image filmée n’approchent pas la redoutable présence de sa voix. Chaque fois qu’au cours de ses séjours chez moi, j’ai eu l’idée d’enregistrer ma mère – notamment sur son enfance, ses premières rencontres avec Ralph, etc. –, j’y ai finalement renoncé. Ce témoignage aurait été après sa mort aussi indécent que son cadavre embaumé et dressé dans ma salle à manger. Il faut laisser les morts en paix.
M.J. me rapporte un fait étrange qu’il faudrait vérifier : les malades atteints de sclérose en plaques et déjà en partie paralysés recouvrent leurs facultés motrices entre vingt-trois heures et quatre heures. Comme si l’éloignement maximum du soleil les libérait d’un poids.
De gros brouillards immobiles noient l’espace depuis le crépuscule jusque tard le lendemain. Il y a quelque chose de mort dans l’atmosphère. De tous les phénomènes météorologiques, c’est le vent qui m’importe le plus, et je déplore qu’il soit si faible et si rare dans notre Île-de-France. Il est la grande respiration du ciel.
R. Kipling : Une femme n’est qu’une femme, mais un bon cigare est un bon cigare.
Avez-vous la foi ? La question m’est posée brutalement. Je réponds que personne ne peut affirmer avoir la foi abolument ou avoir à l’inverse la certitude que Dieu n’existe pas. J’illustre mon propos par une anecdote (évidemment inventée). Retour de son vol spatial (12 avril 1961), Gagarine fait le tour des chefs d’État. Il rencontre d’abord le premier Soviétique, Nikita Khroutchev qui lui demande : « Dis-moi camarade, tu reviens du ciel. Tu as pu constater que Dieu n’existe pas ? – Hélas non, lui répond Gagarine, je l’ai vu, un grand vieillard à barbe blanche dans un fauteuil de nuages – Je m’en doutais, s’écrie Khroutchev, j’ai toujours pensé qu’au fond, c’était les popes qui avaient raison ! C’est une catastrophe pour l’Urss et le matérialisme historique de Marx. Jure-moi sur la tête de ce que tu as de plus précieux que tu ne le diras à personne. Gagarine jure et poursuit son tour du monde. Il est reçu finalement au Vatican par le pape Jean XXIII. « Dis-moi, mon fils, lui dit le pape. Tu reviens du ciel. Tu as vu Dieu, il existe ? – Hélas non, répond Gagarine qui se souvient de son
Weitere Kostenlose Bücher