Journal Extime
comparaison de l’équivalent à Madrid ou à Barcelone. « La variété des visages, me répond-t-il. Chez nous il n’y a que des Espagnols. Ici on voit côte à côte des Asiatiques, des Noirs africains, des blondinets du Nord, des rouquins, des Arabes, etc. »
Antoine Blondin : Je me suis habitué à vivre au seuil de moi-même, parce qu’à l’intérieur il fait trop sombre.
Vent chaud, pluie tiède qui courbe jusqu’au sol les asters, les tournesols et les verges d’or. Je ramasse les premiers marrons tombés.
Souvenir d’enfance. Bligny-sur-Ouche. Le moulin Rouyer. Une sorte d’usine tout en bois actionnée par la rivière qui la traversait et destinée à broyer le grain : bois + rivière + blé = odeurs substantielles.
Le journal rapporte qu’à Aigreville (Seine-et-Marne), on vient de plusieurs kilomètres à la ronde acheter des billets de loto au bistrot. Chaque jour on fait la queue. C’est qu’un billet ayant gagné dix-sept millions y a été vendu. Le plus amusant, c’est que personne ne sait qui a acheté ce billet gagnant. L’heureux acheteur se cache. Les hypothèses vont bon train. On surveille les dépenses des uns et des autres.
Dans le fouet, il y a le manche qui est un bâton sublimé par la lanière et par la mèche. Alors que le bâton écrase purement et simplement (arme « contondante »), la lanière embrasse. La lanière du fouet est un petit bras qui enveloppe de son étreinte le corps fouetté. Étreinte affectueuse, mais qui blesse jusqu’au sang. Comparer le fouet de Jésus et le baiser de Judas. Le claquement du fouet : la mèche n’a pas trouvé de corps à embrasser.
Quand je passe la nuit dans une grande ville étrangère, je choisis de préférence un hôtel près de la gare principale parce que je suis assuré d’y trouver à toute heure du jour et de la nuit un décor et une faune humaine que j’aime. Je rêve parfois de m’installer à proximité de la gare de Lyon (la gare des départs vers le Sud) et d’y vivre avec bonheur. Les restaurants et brasseries n’y manquent pas, et surtout je connaîtrais par cœur les heures d’arrivée et de départ des trains de grande ligne. J’accueillerais les voyageurs étrangers et je partirais moi-même pour de vastes périples pendant lesquels je ne quitterais pas les gares étrangères. Maurice Dekobra qui avait le génie des titres a écrit La Madonne des sleepings. Je rêve de devenir le madon des express.
Comme chaque année, le premier dimanche d’octobre, a lieu à Médan le pèlerinage Zola. Les descendants des deux enfants de Zola – Jacques et Denise – sont comme il convient très entourés. J’avais fait l’an dernier une communication sur Zola photographe. Cette année, c’est Pierre Schöndorfer qui est l’invité d’honneur. Il parle surtout du roman La Débâcle et fait un rapprochement entre Sedan et Diên Biên Phu qu’il a vécu de près. On avait reproché à Zola d’avoir noté que se rendant à Sedan pour y signer sa capitulation devant Bismarck, Napoléon III s’était maquillé pour masquer le délabrement de sa santé inscrit sur son visage. Schöndorfer rappelle qu’à Diên Biên Phu le général Delattre de Tassigny se maquillait lui aussi pour les mêmes raisons. (Il devait mourir quelques semaines plus tard.)
P.R. vient déjeuner. Il me dit que le refroidissement irrémédiable de son amour physique et sentimental pour sa femme lui cause un chagrin dont il ne peut se consoler. Il serait curieux que la réciproque (Madame) ne soit pas vraie.
Invité dans un collège à m’entretenir avec des grands élèves, nous parlons des chefs politiques. Je dis : « Tous des assassins de par leurs fonctions mêmes. » – Je lève ma main droite et je dis : « Vous voyez cette main ? Elle a serré celle de neuf chefs d’État ou de gouvernement. Eh bien, si j’avais pour deux sous de moralité, je la couperais et je la jetterais dans les chiottes. Heureusement je n’ai pas ces deux sous de moralité ! »
Voyage à Rome. Nombre étonnant des palmiers. Où que l’on soit à Rome, on voit toujours au moins un palmier.
Entendu Claude Autant-Lara raconter que lorsqu’il tournait Le Diable au corps, Gérard Philipe – qui avait alors vingt-cinq ans – avait les oreilles tellement décollées qu’il les lui avait fait coller par la maquilleuse. Parfois l’une ou l’autre se libérait, et il fallait retourner
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