Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Tournier
Vom Netzwerk:
coup dans le néant, franchement, je ne m’en console pas.
     
    Je rêve que je pleure. Rien d’autre. Des larmes. Il y a suffisamment de tristesse en moi et autour de moi pour justifier ce chagrin général. La persistance du beau temps le rend à la longue funèbre. Une brassée de roses fait monter une odeur solennelle dans la maison. Étrange et inconsolable bonheur. Encore un instant, Madame le Bourreau, dis-je à la vieillesse !
     
    Vieillesse. Je pense souvent à ce vieux « marcheur » ami de mes parents. Il avait de la fortune, et deux passions remplissaient sa vie, les chevaux et les femmes. Hors d’âge pour les uns comme pour les autres, il continuait à aller aux courses en costume suranné de turfiste, entouré d’un essaim de jeunes femmes qui le traitaient en vieil oncle attendrissant et un peu gâteux.
     
    Je reçois la plus étrange des lettres. C’est un faire-part à la fois de naissance et de mort : Béatrice, 15 septembre à 23 h 50. Dans une lettre jointe, la mère écrit : « Je l’ai portée quelques jours morte. Je fus sa première tombe… » Cette image de la mère-tombeau va loin. Il faudra demander à un spécialiste comment on s’avise de la mort d’un fœtus, et combien de temps la mère peut le garder.
     
    Visite du père Étienne Sacre, prêtre maronite libanais. Il dit qu’il ne peut y avoir de littérature arabe contemporaine, parce que l’arabe littéraire est une langue morte que personne ne pourra jamais revivifier.
     
    Alors que Saint-John Perse était secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Raymond Poincaré, Premier ministre, lui dit : « Est-ce vrai ce qu’on me dit, Leger, vous taquineriez la muse à vos moments perdus ? »
     
    Émission radio avec mes deux traducteurs italiens, Oreste Del Buono et Maria Luisa Spaziani. Je rapporte qu’un critique italien a écrit de la traduction du Roi des Aulnes par Del Buono qu’elle était meilleure que l’original. Au sortir, Maria Luisa Spaziani me reproche amèrement de n’avoir pas mentionné sa traduction des Météores. Je lui promets de la dédommager à la prochaine occasion. Celle-ci se présente le lendemain sous forme d’interview, et je dis au journaliste : « La traduction des Météores par Maria Luisa est si bonne que Gallimard est en train de la faire traduire en français pour remplacer l’original. »
    Maria Luisa traduisant Madame Bovary s’étonne d’une simple remarque laissée sans explication par Flaubert. Les Bovary sont invités à dîner chez le marquis d’Andervilliers. Pour Emma, c’est une découverte et, écrit Flaubert elle « remarqua que plusieurs dames n’avaient pas mis leurs gants dans leur verre. »
    Qu’est-ce que ça voulait dire ? Je n’en savais rien, et c’est ma mère – quatre-vingt-dix ans – qui m’a fourni l’explication. Il est vrai qu’elle avait été élevée par les sœurs de Saint-Claude dans des principes sans doute voisins de ceux qu’avait connus Emma Bovary. Donc on leur enseignait qu’une dame respectable ne devait rien boire du tout pendant tout le repas. Pour signifier aux serveurs qu’ils ne versent rien dans leurs verres, elles les couvraient de leurs gants. Emma constate avec surprise que les dames de l’aristocratie ne se soumettent pas à cette règle d’abstinence.
     
    Saint Ignace de Loyola exige dans ses Constitutions que les membres de la Compagnie de Jésus obéissent perinde ac cadaver, comme des cadavres. Cette formule sinistre paraît de prime abord paradoxale. On n’a jamais vu – sauf dans des cas de résurrection subite – un cadavre obéir au doigt et à l’œil. Force est bien de supposer que Loyola n’envisage qu’une obéissance purement passive, celle qui consiste à se laisser faire, quels que soient les outrages subis. Tout cela dégage une odeur de nécrophilie assez rude.

OCTOBRE
    Retrouvé dans un placard un disque des improvisations au piano de Freddy Thall à l’hôtel Dolder de Zurich. Ce vieux palace somptueux, luxueux et sombre domine le lac de Zurich. Je ne l’ai jamais habité, mais j’y suis allé par curiosité. Le pianiste de la salle de thé est toujours là et improvise obligatoirement chaque jour de 16 heures à 18 heures et de 21 heures à 23 heures, enchaînant des vieux succès nostalgiques et sentimentaux – Parlez-moi d’amour, Nono, Nanette, Tea for two, etc. Freddy Thall apparaît sur la pochette conforme à sa fonction, vieux

Weitere Kostenlose Bücher