Journal Extime

très minoritaires parmi les responsables du massacre. L’assassin type du volant est masculin et jeune. C’est qu’il ne conduit pas avec sa tête, mais avec son sexe. Il suffit pour s’en assurer d’entendre la colère qu’il exprime dès lors qu’il est question de limitation autoritaire de la vitesse automobile. Il affirme avec une espèce de hargne et contre toute évidence que la vitesse n’est pour rien dans les accidents. Visiblement il a perdu la tête. Ce n’est plus lui qui parle, c’est sa « virilité ». Étymologiquement, il est en état d’hystérie.
    Mais il faut avoir le courage de la franchise de l’écrire. Le plus répugnant dans le phénomène automobile, c’est qu’on n’échappe pas soi-même à cette triste contagion. Impossible de prendre le volant sans ressentir, à l’état naissant au moins, ces impulsions meurtrières. Il n’est bien sûr que de les maîtriser. Sans doute, sans doute, mais c’est déjà trop de s’être senti sali et humilié en les percevant affleurer chez le plus paisible des êtres, moi-même…
     
    29 septembre. Le ramoneur vient curer mes cheminées. Mais avant toute chose il me souhaite une bonne fête. Hé oui, c’est la Saint Michel aujourd’hui ! En Allemagne le ramoneur porte un chapeau haut de forme et est considéré comme magique. Dans la rue les enfants accourent pour le toucher. Ça porte bonheur !
     
    Claude Bernard : « Dans mes recherches sur la sensibilité des plantes, j’ai vu qu’on peut arrêter la végétation et la floraison par des anesthésiques. Si l’on prend une plante, une renoncule par exemple, qui a la faculté de continuer à pousser et à fleurir dans l’eau, et qu’on ajoute quelques gouttes d’éther ou de chloroforme à cette eau, on voit que tout s’arrête et que la plante reste stationnaire. Mais le phénomène remarquable est que la plante arrêtée ne se flétrit plus : la corolle conserve tout son éclat et le bouton garde toute sa fraîcheur. On a réalisé la fleur au bois dormant. Que ne peut-on arrêter ainsi les humaines fleurs ! Leurs charmes seraient moins fugitifs et sans doute aussi leurs sentiments. » Quand la science la plus rigoureuse débouche sur la féérie.
     
    Petites douleurs cardiaques qui me font espérer une mort rapide et proprette.
     
    Visite dans un collège de banlieue dite « sensible ». Toutes les races paraissent représentées par les élèves. Je parle au directeur de la mixité dont j’ai entendu remettre le principe en question. Les affaires de viol entre élèves se multiplieraient. Il me raconte qu’il vient de convoquer dans son bureau deux garçons et une fille. La fille en larmes se plaint d’être persécutée par eux. Ils l’accusent d’avoir de la moustache. C’est vrai qu’elle est très brune et a une ombre sur la lèvre supérieure, mais très mignonne au total. Les garçons pouffent et disent qu’elle manque d’humour.
     
    Entendu un ophtalmologue expliquer que « les animaux n’ont pas de macula. Ils ne possèdent donc qu’une vision globale. » Macula ou tache jaune. Petite dépression colorée en jaune de la rétine située au fond de l’œil, à l’extrémité postérieure de l’axe passant par le centre de la pupille et du cristallin. C’est la partie de la rétine la plus sensible aux impressions lumineuses.
    Cette absence de macula est tout de même surprenante si l’on songe à l’acuité prodigieuse de la vision des oiseaux. Ne faut-il pas dire exactement l’inverse, à savoir : toute la rétine des oiseaux n’est qu’une macula. Ils n’ont pas de vision globale ?
     
    Ma mort. J’en prendrais bien facilement mon parti. Le problème, c’est que le monde entier possède une relation essentielle avec moi. L’humanité tout entière est ma représentation. Les hommes, les femmes, les enfants, les animaux, les plantes, les paysages, tout est dans ma tête. Si on la coupe, tout disparaît.
    « Mais non, me dis-tu, toi disparu, le monde continuera à mener sa vie multiple et chaotique, comme il le faisait avant ta naissance. »
    Je n’en crois rien. Avant ma naissance, il y avait le passé du monde. Après ma mort, c’est l’avenir du monde. Mais ce passé et cet avenir se trouvent également dans ma tête, tout comme le présent du monde, et nulle part ailleurs. Si cette tête tombe, tout est voué au néant. Or je veux bien disparaître, mais le monde et l’humanité tout entière sombrant du même