Julie et Salaberry
avant tout, il savait quand il fallait mettre de côté états dââme et griefs. Les Boileau restaient une famille parmi les plus influentes de la région qui disposait de relations dans tous les milieux. Avec tous ces gens qui affluaient à Chambly à cause de la guerre, le sieur Vincelet nâallait pas se priver dâune clientèle avantageuse.
â Câest bon! soupira-t-il en sortant de sa poche de redingote un large mouchoir blanc afin dâéponger son crâne dégarni. Votâ père, quâil laisse ses grands airs à la porte, et tout ira bien. Dites-vous que câest par faveur pour votâ mère, une dame généreuse à qui jamais je ne fermerai ma porte.
Il sâarrêta pour reprendre son souffle.
â Monsieur Vincelet, je me rappellerai votre amabilité, remercia simplement René, tout en demeurant sur son quant-à -soi.
Aujourdâhui, lâaubergiste avait beau jeu, mais demain, les rancunes ressurgiraient.
Les Boileau pénétrèrent dans la grande salle de lâauberge où étaient installées de longues tables en vue du repas de noces.
â Alors, fit Emmélie à son frère avec bonne humeur. Le bonheur de la nouvelle madame de Salaberry fait plaisir à voir. à partir de maintenant, cher frère, dis-moi vers qui se tournera ton âme chevaleresque?
â Je me le demande⦠fit René avec un petit sourire moqueur. Nâas-tu pas reçu des nouvelles de Québec par la dernière malle?
Le front dâEmmélie changea de couleur.
Mais René ne pensait déjà plus à la taquiner. Le sourire carnassier dâOvide de Rouville sâapprochait dâeux.
â Tiens, chuchota le notaire à sa sÅur, voici le loup qui vient. Capitaine de Rouville, ajouta-t-il à voix haute, je vous attends bientôt pour lâengagement de vos prochaines recrues?
â Nous verrons cela demain, notaire. Câest jour de fête et je réclame lâhonneur de la compagnie de votre inestimable sÅur. Vous devez me suivre, mademoiselle Boileau. Un ordre de la mariée qui a elle-même attribué les places, ajouta-t-il avec un air triomphant, avant quâEmmélie, ahurie, ne puisse protester.
â Allez, viens, pressa Sophie en bousculant sa sÅur. Je suis curieuse de voir ce quâon nous servira à dîner.
Véritable fleur printanière dans une robe couleur vert dâeau rehaussée dâirrésistibles fanfreluches dont elle seule avait le secret, Sophie maintenait fermement le bras de Toussaint Drolet. Ce dernier sâaffichait en parfait dandy, avec une redingote noire dont les basques traînaient jusque sous les genoux, culotte de nankin et ceinture de soie noire, gilet gris perle, chemise, cravate et guêtres blanches.
â Princesse au petit pois, plaisanta galamment le jeune marchand à sa promise. Suivez-moi, que nous trouvions nos places afin que vous puissiez combler votre gourmandise.
Un rire cristallin lui répondit.
â Ne forment-ils pas un beau couple? déclara Ovide en les suivant des yeux. Il nâen tient quâà vous pour que nous en fassions autant, très chère, ajouta-t-il, le ton suave.
En guise de réponse, Emmélie déploya son éventail dâun coup sec. Pour une fois, elle se félicita de sâêtre munie de lâaccessoire féminin.
â Vous avez manigancé pour me piéger, affirma-t-elle, une lueur amusée dans lâÅil de son compagnon confirmant ses dires. Je serai bonne joueuse pour aujourdâhui, mais soyez averti: vous nâobtiendrez jamais rien de moi.
â Nous verrons bien, ma charmante, riposta Ovide.
Assuré quâelle ne ferait pas dâesclandre, il attrapa sa main.
â Nâabusez pas de votre chance, lui ordonna-t-elle en la retirant.
Il se mit à rire.
â Adorable pimbêche! Vos yeux sont de braise lorsque vous êtes en colère.
Et sans plus attendre, il la conduisit à la grande table où se trouvaient les mariés et leurs parents. Monsieur de Rouville se leva pour lui présenter celui qui serait son voisin de table.
â Mademoiselle Boileau, impossible dâavoir meilleure compagnie que mon vieil ami, lâassura ce dernier tandis quâOvide tirait galamment sa chaise et invitait la jeune femme à sâasseoir.
Déterminée à tenir Ovide à distance,
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