Julie et Salaberry
contrition pour les grands pécheurs, nâattendait quâune nouvelle occasion pour obliger Ovide à finir de réparer tous ses torts.
Après cette conversation avec le curé, Marguerite avait vu son plaisir sâenvoler, elle qui avait mis tant dâentrain à se coudre une robe neuve et à se confectionner un chapeau en prévision de la noce.
â Ma petite fleur, câest le sort de notre chère Marie-Anne qui te préoccupe? se méprit son mari en la voyant troublée.
â Nenni, Alexandre. Je lâai bien nourrie avant dâaller à lâéglise. Elle en a pour quelques heures à dormir et sâil le faut, Lison viendra me chercher.
â Je sais bien que tu nâaimes pas abandonner nos enfants, fit Alexandre, croyant que câétait là le motif de son visage inquiet, mais ils sont entre bonnes mains, avec Charlotte qui les aime comme les siens. Songe plutôt à tâamuser, ma jolie. Viens, allons prendre nos places. Vois, le notaire se lève pour tirer ta chaise. Trop aimable de sa part.
Marguerite approuva. Cette fois, elle décida de tenir le passé à distance et de sâamuser, en commençant par offrir un grand sourire à René.
Impossible de trouver, dans tout le Bas et le Haut-Canada réunis, deux pères plus heureux que Louis de Salaberry et Melchior de Rouville. Ils contemplaient leur Åuvre en vieux complices: Julie et Charles, mariés, souriant à leurs invités.
â Il y a longtemps que je nâai pas vu mon père de si belle humeur, dit Charles à Julie. Regarde-le causer avec ton amie Emmélie! On dirait quâil a rajeuni de trente ans.
â Emmélie, je vois que vous avez trouvé un homme à votre mesure en la personne de mon beau-père, plaisanta Julie.
Après ses fiançailles avec Salaberry, Julie sâétait présentée un jour chez les Boileau, voulant faire amende honorable. Plus rien ne devait entacher son bonheur. Elle avait trop souffert de lâindifférence des autres pour se priver dâune amitié à laquelle, dans le fond de son cÅur, elle tenait. Heureuse de la retrouver, Emmélie lâavait simplement serrée dans ses bras, faisant taire les mots dâexcuse. Et lorsque son frère lui avait suggéré que mademoiselle Boileau soit sa compagne de table pour les noces, Julie, croyant faire plaisir à son amie, avait approuvé sans réserve lâidée dâOvide.
Déposant son verre de vin sur la nappe blanche, Louis de Salaberry sâapprêtait à narrer un nouvel épisode de sa jeunesse à sa charmante auditrice.
â à Montréal, les bals se succédaient les uns aux autres et toute la jeunesse du pays sây donnait rendez-vous. Avec ce monsieur, fit-il en désignant le colonel de Rouville, un jeune homme continuellement entouré dâun essaim de belles dames et de jolies demoiselles, on pouvait danser toute la nuit.
Le curé, assis à la table dâhonneur à gauche de madame de Rouville, toussota pour exprimer sa désapprobation.
â Ah! Messire Bédard, le taquina monsieur de Salaberry dâun air faussement contrit. Je sens sur moi votre regard sévère. Je sais, je sais. Les hommes de Dieu dénoncent le plaisir de la danse, y voyant une occasion de dévergondage.
â Que voulez-vous, mon cher Bédard, dit monsieur de Rouville. Pendant quâon vous abreuvait de patenôtres au Séminaire de Québec, à Montréal, la jeunesse avait besoin de frivolités. Ah! Câétait la belle époque! soupira-t-il en vidant son verre.
Julie avait le cÅur léger. Jamais son père nâévoquait sa jeunesse autrement que par ses exploits militaires. Elle découvrait avec amusement quâil avait été un jeune homme insouciant.
â Et vous, mère, dansiez-vous également toute la nuit?
â Personne nâa couru les bals autant que moi! Sinon, comment aurais-je pu rencontrer ton père? avoua Marie-Anne de Rouville, elle aussi dâhumeur joyeuse.
â Je me rappelle⦠fit le colonel de Rouville avec un regard pétillant en direction de son épouse.
Surprise par la scène de marivaudage, Julie nâen croyait pas ses yeux et ses oreilles. Ses parents avaient donc été amoureux? Lâespace dâun instant, elle crut même que sa mère allait rougir comme une jeune
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