Julie et Salaberry

Emmélie s’installa en lui tournant le dos et offrit un sourire gracieux à monsieur de Salaberry.
    â€” Quel plaisir de vous rencontrer! On m’a raconté tant de choses prodigieuses à votre sujet. Vous vous seriez tiré indemne d’une avalanche grâce à votre force prodigieuse? Je ne le croirai qu’en l’entendant de votre bouche, ajouta-t-elle en posant ses mains à plat sur la table, comme si elle voulait qu’on admire ses longs gants couvrant ses bras dénudés, mais en fait, c’était pour éviter la main de son voisin qui tentait d’attraper la sienne sous la table.
    â€” Sans mentir, j’ai connu nombre d’aventures, déclara Louis, ravi d’attirer l’intérêt d’une jeune femme.
    Ovide se recroquevilla sur sa chaise, attendant la fin du récit épique. Il tenait sa proie à sa portée, c’était tout ce qui comptait pour l’instant.
    Se retrouver parmi les membres de la famille des mariés comportait aussi des avantages, finit par constater Emmélie lorsqu’elle put échanger quelques mots avec Hermine, la nouvelle belle-sœur de Julie, assise en face d’elle, et avec qui elle sympathisa facilement. Elle apprit alors avec stupeur qu’Hermine et ses deux enfants vivaient dans les quartiers d’officier avec son mari.
    â€” J’aurai enfin une sœur pour me tenir compagnie, lui confia Hermine en donnant ce doux nom à l’épouse de son frère, comme c’était l’usage. Avec la guerre, nous ne savons pas ce qui nous attend.
    Pendant qu’Emmélie découvrait les dessous de la vie de femme d’officier, René observait la porte où les invités se faufilaient avec difficulté. Des dames agitaient déjà leurs éventails pour lutter contre la chaleur.
    â€” Tiens, voici les Talham, fit remarquer Marie-Josèphe Bédard tout près de lui. Dieu que notre madame docteur est jolie aujourd’hui!
    Marguerite retirait son spencer, une petite veste s’arrêtant à la taille, pour ne garder sur ses épaules qu’un joli châle à motifs, bordé de longues franges. Elle était adorable dans sa robe d’un modèle très simple, taille haute prise sous les seins, petite manche courte et bouffante sur l’épaule et jupe droite légèrement évasée, confectionnée dans un tissu de mousseline rose pâle qui seyait à son joli visage parsemé de taches de son. De longs gants habillaient ses bras. Sous un chapeau de paille garni de rubans d’une nuance plus foncée que la couleur de la robe, son interminable tresse blonde allait se perdre dans les fronces de la jupe.
    René ne pouvait détacher ses yeux de la jeune femme. Était-ce cette ambiance de noce qui le remuait ainsi? Son cœur battit violemment dans sa poitrine.
    â€” Ma foi! dit Marie-Josèphe, intriguée par l’expression étrange qu’elle voyait sur le visage de son voisin de table. On dirait que vous venez de voir une apparition.
    â€” Une nymphe, murmura-t-il.
    â€” N’est-ce pas? approuva candidement la sœur du curé. Quelle chance, les Talham ont leurs places près des nôtres. Voilà mon frère qui fait de grands gestes. Mais où donc est passé le docteur? Ah! Je le vois là-bas, en compagnie de vos parents.
    Le curé s’approchait en effet de Marguerite pour l’entraîner à l’écart.
    â€” Ma chère madame Talham!
    â€” Bonté divine! sursauta Marguerite.
    Elle n’avait pas entendu le curé s’approcher. Figée sur place, elle contemplait le spectacle d’Emmélie et Ovide, assis ensemble. Épouvantée de les voir sourire, elle imaginait le pire: le fils Rouville séduisant Emmélie.
    â€” Vous êtes resplendissante de santé! dit le curé avec bonhomie, sans voir son trouble. Et on ne cesse de me faire des compliments sur la beauté de vos enfants.
    â€” Merci, monsieur le curé. Le docteur et moi-même faisons de notre mieux, répondit machinalement Marguerite.
    â€” Votre bonheur fait plaisir à voir, chère enfant. N’ai-je pas eu raison, autrefois?
    Le curé faisait évidemment allusion au mariage de Marguerite avec le docteur, arrangé par ses soins et ceux de son oncle Boileau. Il concevait cette union comme une de ses grandes réussites. Mais il avait mal choisi les