Julie et Salaberry
circonstances pour en faire la démonstration.
â Vous avez eu raison autrefois, dit-elle brusquement. Mais lâautre jour, vous savez qui sâest présenté chez moi, et à votre suggestion, paraît-il.
Le visage de messire Bédard sâallongea dâun coup.
â Pourquoi avez-vous fait cela, monsieur le curé?
â Il sâagissait de secourir une âme en grande perdition, Marguerite, pontifia le curé. Vous aviez certainement compris lâimportance de cette démarche.
Mais lâair de sa paroissienne disait tout le contraire. Elle était furieuse.
â Comprendre quoi? Avez-vous seulement envisagé le mal quâil aurait pu provoquer? Fort heureusement, si je puis dire cela, il est venu à lâinsu de mon mari. Et mon petit garçon qui nâétait pas loinâ¦
Elle parlait à voix basse afin que personne nâentende ce quâelle avait à dire, mais tremblait dâune rage difficile à contenir.
â Allons, allons, Marguerite, vous exagérez, fit le pasteur sur un ton qui se voulait conciliant. Pourquoi ne pas oublier cette histoire ancienne? Vous avez maintenant une famille, et un mari qui vous protège.
â Quâen savez-vous? Alexandre ignore tout de ce démon, qui en a profité pour effrayer ma servante. Je nâai quâune chose à vous dire, monsieur le curé, jamais je ne pardonnerai à ⦠cet homme ce quâil mâa fait. Vous mâentendez? Jamais.
â Certes, le crime était grand, mais je peux vous assurer quâil a fait preuve dâun sincère repentir.
â Des mensonges!
â Comment vous convaincre? Voyez votre cousine, dit-il en désignant Emmélie. Cette jeune femme pleine de bon sens ne craint pas dâêtre en compagnie du jeune Rouville.
â Elle ne sait pas⦠Il ne faut pas la laisser seule avec lui!
â Allons, allons, mon enfant, je vois bien que je vous ai blessée. Je réclame à mon tour votre pardon, ajouta-t-il, mielleux. Me lâaccorderez-vous?
Médusée, elle braqua ses yeux clairs sur lâhomme de Dieu. Austère et enclin à faire la morale, comme lâexigeait son ministère, le curé était généralement juste. Il avait bon cÅur et il était difficile de lui en vouloir. Mais cette fois, Marguerite estimait quâil avait gravement erré et, même, quâil lâavait trahie.
â Ne mâinfligez plus jamais pareille torture, répliqua-t-elle.
La jeune femme se tenait droite, oubliant cette humilité de bonne chrétienne qui faisait naturellement baisser les yeux devant un prêtre.
Enfin, le docteur vint la rejoindre. Soulagée, elle agrippa le bras de son mari.
â Mon cher Bédard, permettez que je vous enlève cette jolie dame? Marguerite, on nous attend pour manger. Vous aussi, monsieur le curé.
Dépité, le curé se dirigea vers la table dâhonneur où on lui avait réservé une place. En voulant accommoder le colonel, il avait peut-être sacrifié la quiétude de Marguerite. Il avait voulu bien agir, mais les reproches de sa paroissienne semaient le doute dans son esprit.
Le fils Rouville sâétait présenté au presbytère et avait enfin avoué sa faute en confession, et plusieurs autres de même nature. à force de confesser les âmes, le curé avait souvent réfléchi à la nature du bien et du mal. Débusquer la faiblesse humaine était devenu sa grande spécialité. Aussi, il avait cru lire la crainte de lâenfer dans les yeux du pénitent et accepté la sincérité de son repentir. Ovide de Rouville avait récité avec ferveur les nombreux rosaires exigés; il avait accompli cinq chemins de croix avec trois Pater et un Ave à chaque station, sa pénitence comprenait également des aumônes aux pauvres de la paroisse. Messire Bédard sâétait déclaré satisfait. Il ne pouvait exiger plus, après dix ans, pour un crime qui nâavait jamais été rendu public. Sinon, il aurait ordonné au fils Rouville de faire amende honorable en pleine messe du dimanche, à genoux sur le sol, un cierge à la main. Restait en suspens lâaffaire de lâincendie de lâéglise. Lââme de ce jeune homme comportait encore des zones grises, mais le curé, qui croyait fermement aux vertus de la confession et de la
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