Julie et Salaberry
comprendre, répondit madame de Rouville. Mais laisse-moi te donner un conseil. Même si tu cédais à ses avances, ton mari nâobtiendrait rien de plus. Ce genre de personnage ne cherche que son propre intérêt.
Julie se releva brusquement.
â Je nâai jamais eu lâintention de faire ça, mère!
â Cela ne te ressemblerait pas, convint sa mère dont la voix était beaucoup plus douce quâà lâaccoutumée. Mais trop souvent, la peur ou la crainte pousse des femmes à commettre certaines imprudences.
â Je ne savais plus quoi faire pour mâen débarrasser.
â Avec le temps, tu apprendras à éviter ce genre dâimportun, tout gouverneur soit-il.
Julie dévisagea sa mère qui lui souriait.
â Vous avez changé, mère. Je ne vous reconnais plus.
â Je ne crois pas avoir changé à ce point, jâai seule-ment appris à te faire confiance. Depuis que tu as accepté Salaberry comme époux, jâai compris que tu me ressemblais beaucoup plus que je ne lâaurais jamais cru. Mais tu es bien pâle, sâinquiéta-t-elle, à la seconde même où Julie tournait de lâÅil. Joseph! cria-t-elle. Va chercher le docteur Stubinger!
Stubinger recommanda plutôt quâon fasse quérir une sage-femme qui pourrait ausculter Julie, confirmant ce dont cette dernière se doutait depuis un certain temps: elle était enceinte. Julie ressentit une joie indicible à la pensée de porter un enfant. La nouvelle procura un motif suffisant de réjouissance au manoir pour effacer le souvenir de la visite matinale de Prévost.
â Je⦠Je vais être père, balbutia Charles, plus tard, lorsquâon lui apprit la nouvelle. Je vais être père!
Le regard azur de lâinflexible commandant des Voltigeurs canadiens devint subitement humide. Il sâagenouilla auprès de Julie qui était allongée sur le sofa.
â Mon ange! Un petit Salaberry! Rien ne pouvait davantage me combler de bonheur.
Les larmes de joie coulaient librement et Julie, profondément touchée par cette émotion sincère, oublia toute trace de ressentiment et tendit les bras vers son mari en lui offrant un doux baiser.
24 . Nos montures sont prêtes, monsieur!
Chapitre 23
Lâexpédition de la rivière Lacolle
Aussitôt la grande revue du gouverneur passée, ordre fut donné aux compagnies de Voltigeurs de se rendre à Blairfindie. Six bonnes lieues à marcher sous un soleil ardent.
â En avant, les gars! Comme dit le capitaine, marcher, toujours avancer, câest ça la vie de soldat? pesta Louis Charland, sâadressant à Godefroi.
â Par ma vie, jâai jamais eu aussi chaud, soupira Godefroi.
â On a sué plus dâeau que peut en contenir un puits, déclara Charland en grattant les dernières piqûres que des moustiques voraces avaient laissées un peu partout sur son corps.
â Plus dâeau quâon en trouve dans le bassin de Chambly! renchérit Godefroi en dénouant le mouchoir qui lui ceignait le front pour sâéponger le visage.
Dans la touffeur du jour, les chemises collaient à la peau.
De Chambly, pour se rendre au campement de Blairfindie, il fallait suivre le chemin de la Petite Rivière, ce qui permit à Godefroi de sâarrêter à la ferme familiale pour serrer sa mère dans ses bras.
â Bonté divine! sâécria Victoire, à la fois étonnée et heureuse de voir son fils. Mais tu as maigri! Que tâa-t-on fait?
â Faut dire quâune platée de votre ragoût nourrit mieux son homme que les rations de lâarmée. Mais on manque pas de pain, répondit le fils à sa mère.
Cette dernière détailla lâaccoutrement du voltigeur.
â Eh bien! En voilà une belle cochonnerie bonne à rien, dit-elle en constatant lâétat misérable des semelles de ses chaussures percées en plusieurs endroits. Tu nâiras pas loin avec ça, mon garçon.
â Rien ne vaut des souliers faits à la maison, décréta à son tour François Lareau en entrant dans la maison pour donner lâaccolade à son fils.
On venait de lâavertir de la venue de Godefroi. Lâhabitant était au champ, la récolte de foin battait son plein et il ne fallait pas manquer un jour de beau temps. Mais le passage de son fils
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