Julie et Salaberry
en quelque sorte.
â Un marché?
Stupéfaite, Julie dévisageait le gouverneur avec un sentiment croissant de honte.
â Une jolie femme comme vous, dit-il en contemplant lâéchancrure de son corsage, comprend certainement ce que je veux dire.
â Monsieur! protesta Julie en le repoussant. Ceci mâest parfaitement odieux. Et sachez que je ne suis pas une femme de⦠ce genre.
â Mais quâallez-vous chercher là ? Je ne fais quâévoquer⦠hum! Comment dirais-je? Les prémices dâune grande amitié, à lâimage de celle quâeut autrefois madame de Péan pour monsieur lâintendant Bigot. Vous avez sans doute entendu parler de cette intéressante histoire. Les Françaises sont réputées pour leur tempérament. Et⦠les occasions de nous voir ne manqueront pas, insinua-t-il en sâapprochant si près dâelle quâil la touchait presque.
Son doigt glissa lentement sur ses lèvres, comme pour en dessiner le pourtour. Horrifiée, Julie recula au point de basculer sur le sofa. Il sâapprocha et se pencha sur elle.
â Une bouche gourmande! Qui donne envie de la croquer.
Elle tremblait. Jusquâoù pousserait-il lâaudace? Mais il se releva.
â Vous êtes une femme intelligente, madame de Salaberry. Et je suis patient. Jâattendrai que mon idée commence à faire son chemin dans votre charmante tête. Jâaime les femmes consentantes.
â Je ne peux croire ce que jâentends! Je frémis devant votre demande⦠inqualifiable, sâindigna bravement Julie qui se demandait comment mettre fin à lâentretien. Maintenant, Sir, vous allez sortir de la maison de mon père, lâintima-t-elle, tremblante, mais refusant de céder à lâignoble chantage.
â Réfléchissez, fit le gouverneur en se levant avec mauvaise humeur. Sinon, il pourra en coûter à votre mari.
«Ces Canadiennes, toutes des saintes nitouches!» grommela-t-il pour lui-même.
Il allait partir lorsque madame de Rouville fit interruption dans le petit salon. Jamais Julie nâavait été aussi contente de voir apparaître sa mère.
â Sir Prévost, on vient de mâapprendre lâhonneur de votre visite!
Elle se retourna vers Julie avec un air de reproche.
â Comment, ma fille, tu ne nous as pas fait prévenir que Son Excellence était ici?
Quâavait pu voir ou entendre sa mère? se demanda Julie avec effroi. Le gouverneur nâavait pris aucune précaution pour sâassurer quâil serait seul avec elle. Les portes du salon étaient demeurées grandes ouvertes. Et si un domestique était entré?
â Chère madame, la faute mâen revient, je ne lui en ai pas laissé le temps, répondit le gouverneur avec aplomb. Je passe en coup de vent, mais je tenais à saluer la famille de mon meilleur officier avant de repartir à Montréal. Ma voiture mâattend.
â Câest trop dâhonneur, Votre Excellence. Mais je vous saurais gré de bien vouloir ménager ma fille qui est épuisée ces jours-ci. La soirée dâhier lâa fatiguée.
Rien dans le ton de madame de Rouville ne laissait entendre quâelle avait pu voir ou entendre quoi que ce soit.
â Mon mari est absent. Mais il sera heureux dâapprendre votre intérêt pour notre fille et notre gendre, ajouta madame de Rouville avec un sourire impassible.
Elle nâétait pas dupe de ses intentions.
â Je vous raccompagne? insista-t-elle.
Prévost sâinclina gracieusement.
â Comme je le disais à madame de Salaberry, jâallais partir. Mesdames, mes hommages. Chère madame, jâaurai plaisir à vous revoir bientôt, fit-il en baisant la main de Julie.
Madame de Rouville raccompagna elle-même le gouverneur jusquâà sa voiture. Lorsquâelle revint au petit salon, le visage de Julie avait perdu toutes ses couleurs.
â Allonge-toi, dit-elle dâun ton inquiet en désignant le sofa. Jâenvoie Joseph quérir le docteur Stubinger.
â Ce nâest rien, mère, répondit faiblement Julie. Un simple étourdissement.
Plus que son malaise, lâattitude de madame de Rouville la déconcertait totalement. Câétait bien la première fois que sa mère prenait sa défense.
â Vous avez tout entendu?
â Suffisamment pour
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