Julie et Salaberry
en lâhonneur du gouverneur réunissait officiers et personnes élégantes et se déroulait de manière si agréable quâil était impossible de croire que dehors, la guerre était là . Sir George Prévost dispensait ses amabilités avec la prodigalité dâun grand seigneur.
â Monsieur de Salaberry, je nâentends que des louanges à votre sujet, dit-il à Louis qui se rengorgea.
â Votre Excellence, si je peux me permettre, elles sont largement méritées, approuva le colonel de Rouville. La tenue de son bataillon est impeccable et ses hommes le chérissent comme un père.
Monsieur Boileau, qui venait de faire valoir au gouverneur quâil possédait les meilleures terres du pays et pouvait fournir du grain à lâarmée en grande quantité, sâinforma de la stratégie prévue pour les jours à venir.
â Nous poursuivons les ouvrages de défense au sud-ouest, afin dâassurer la protection de Montréal, expliqua le gouverneur. Il est certain que lâennemi tentera de franchir la frontière dans la région du lac Champlain, soit du côté de Plattsburgh, soit par celui de Lacolle, pour ensuite remonter la rivière Chambly. Il faut prévoir chacune des éventualités. Le major de Salaberry sera affecté au commandement des forces du côté de Lacolle.
Lâétat-major avait déjà augmenté la tâche de Salaberry. Outre son régiment de Voltigeurs, il avait sous ses ordres des bataillons de milice et toutes les compagnies dâautres régiments comme les Chasseurs, les Voyageurs et les Canadians Fencibles, en poste dans la région.
â Pour ma part, jâai ordre de détruire les ponts et de rendre les chemins impraticables entre la frontière et lâarrière-poste Blairfindie, expliqua à son tour Louis de Salaberry à son ancien collègue de la Chambre.
â Sâil faut démolir les ouvrages là où on attend lâennemi, ceux des chemins dâarrière-postes, où passent obligatoirement les troupes pour aller au combat, doivent au contraire être solidifiés. Jâai remarqué quâun petit pont sur le chemin principal de Chambly est dans un état lamentable, ajouta-t-il en se tournant vers monsieur Boileau. On mâa affirmé que ce pont vous appartenait et que vous refusiez de le réparer?
Le visage poupin de monsieur Boileau prit subitement une couleur vive. De son côté, le curé ne put retenir un sourire, un petit air de vengeance dans le regard. Le colonel de Rouville, qui surveillait les réactions du bourgeois, se préparait à contenir lâassaut lorsquâune main gantée de dentelle noire se posa fermement sur son bras. à sa manière, madame Boileau intimait à son mari de se tenir coi, assurant elle-même la ligne de défense.
â Votre Excellence, on vous a sans doute mal informé, dit-elle, la voix ferme et hautement distinguée, offrant au gouverneur le plus aristocratique de ses sourires.
Tous les convives retinrent leur souffle. Madame Boileau nâavait pas lâhabitude de sâinterposer ainsi publiquement.
â Certes, il est vrai que des délais imprévus ont retardé le début des réparations, expliqua la noble dame, mais je vous fais grâce de ces détails sans importance.
Cette précision dite avec un lourd regard en direction du curé provoqua chez ce dernier une attaque de toux intempestive.
â Je peux vous assurer que ce matin même, le meilleur charpentier du pays concluait une entente avec mon mari. Monsieur Bresse, ainsi que notre hôte de ce soir, monsieur Vincelet, étaient présents à titre de copropriétaires du pont en question. Croyez-moi, la cause est entendue et les travaux commenceront à la première heure, demain.
â Je me réjouis de cette bonne nouvelle, déclara le gouverneur.
â Quâen dites-vous, messire Bédard? fit le colonel de Rouville.
â Je dis que Notre-Seigneur a enfin envoyé ses divines lumières sur les esprits obscurcis de notre paroisse, rétorqua le prêtre qui tenait à avoir le dernier mot de lâhistoire.
Devant autant de mauvaise foi, madame Boileau se leva brusquement de table et fit signe à ses filles de faire de même.
â Jâespère, messire Bédard, que ce pont réparé fera disparaître tous
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