Julie et Salaberry
vous. Aujourdâhui, je le dépose à vos pieds. Ãpousez-moi, très chère Emmélie.
Elle tressaillit. Jamais elle nâavait pensé quâil se rendrait jusque-là . Peut-être que lui-même nây avait jamais cru. Et curieusement, Ovide eut la sensation que la sueur mouillait sa chemise et il sâépongea le front en sortant un élégant mouchoir de soie blanche. Il avait toujours agi par intérêt, usant de manigances pour arriver à ses fins, et longuement répété les actes dâune comédie quâil croyait avoir habilement ficelée: de belles paroles visant à la fois à flatter le père et à amadouer la mère, cette dernière se méfiant encore de lui. Mais il ne sâétait jamais interrogé sur ses propres sentiments et, soudainement, en prononçant les mots préparés pour la grande scène quâil avait imaginée, il tremblait comme nâimporte quel homme avouant son amour à la femme de ses vÅux. Et il découvrait avec stupéfaction quâil était réellement amoureux dâEmmélie Boileau; que toutes les actions quâil croyait avoir menées de main de maître avec sa raison avaient été secrètement dictées par le cÅur.
Ovide la contempla avec un regard nouveau. Il aimait sa silhouette gracieuse et lorsquâil était près dâelle, il éprouvait une étrange sensation dâapaisement. Sa seule présence le rendait meilleur. Elle était digne dans sa robe sombre qui accentuait la beauté de ses yeux noirs. Il découvrait quâil souhaitait ardemment que ce regard ne le quitte jamais. Auprès dâelle, il deviendrait lâhomme que son père avait toujours espéré le voir devenir. à tout prix, il fallait quâelle accepte!
Pourtant, combien de fois lâavait-elle rejeté en se moquant, le narguant de propos acerbes? Et lui, il avait joué le jeu avec un plaisir grandissant. Ne comprenait-elle pas à quel point il avait besoin dâelle? Mais comment aurait-elle pu, puisque lui-même venait à peine de le découvrir?
â Monsieur de Rouville, commença-t-elle avec calme.
Elle dissimulait ses véritables sentiments. Cet homme lui avait toujours inspiré de la répugnance, mais aussi de la peur. Celle, surtout, dâêtre obligée dâaccepter sa demande, contrainte par la pression sociale, par une rumeur insis-tante qui placerait les siens dans une situation impossible. Mais étrangement, aujourdâhui, elle le trouvait presque touchant, même si elle demeurait persuadée quâil lui jouait une comédie.
â Monsieur de Rouville, je ne sais quoi vous dire. Votre proposition de mariage honore ma famille, mais vous avez toujours su que je ne lâaccepterais pas.
â Emmélie, je vous supplie de prendre le temps de réfléchir. Je vous offre de devenir un jour seigneuresse de Rouville.
â Vous me connaissez suffisamment pour savoir que je ne tiendrai pas compte de cet argument.
â Mais votre pèreâ¦
â Ce nâest pas lui qui se mariera et, en toute honnêteté, je ne puis accepter. Je nâai aucune inclination pour vous, monsieur de Rouville.
Pourquoi nâutilisait-elle jamais son prénom? Cela lui faisait mal. Si seulement elle consentait à dire «Ovide»?
â Pourtant, Emmélie, je vous aime! à tel point que je ne peux y croire moi-même, dit-il, le regard exalté. Je vous en conjure, ne me rejetez pas. Jâai tant besoin de vous, gémit-il.
Emmélie tressaillit. Un frisson lui parcourut lâéchine, tant il avait lâair sincère. Elle se détourna, préférant ne plus voir son visage, faisant quelques pas dans la pièce pour sâéloigner de lui. Le fait quâil se tienne près dâelle lâindisposait. Elle connaissait le moyen de faire cesser cette comédie et, cette fois, elle nâhésita pas.
â Je ne vous aime pas. Et jamais je ne pourrai vous aimer. Je sais ce que vous avez fait à Marguerite Lareau.
Il absorba la violence du choc. La blonde venait encore de se mettre en travers de son chemin.
â Puisque vous savez, je ne vous ferai pas lâoffense de le nier, confessa-t-il avec un air grave. Jâétais jeune et je regrette amèrement mon geste, messire Bédard lui-même pourra en témoigner, si vous lâexigez.
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