Julie et Salaberry
Je vous aime, Emmélie, répéta-t-il avec passion. Et si seulement vous vouliez mâaimer un peu, vous feriez de moi un homme neuf.
Il la suppliait, mais elle refusait toujours de le regarder en face et le malaise sâaccentuait entre eux. Emmélie sâétait légèrement tournée comme pour examiner en détail la décoration de la pièce, à la manière de quelquâun qui la voyait pour la première fois. Il remarqua, non sans joie, quâelle avait perdu son aplomb, quâil avait réussi à la troubler.
â Je ne retire pas ma demande, mais la dépose simplement entre vos douces mains dans lâespoir que la violence de mes sentiments atteigne votre cÅur qui est la bonté même.
Il aurait aussi voulu lui dire quâil savait quâil était le père de Melchior et quâil commençait à sâattacher au garçon. Cela lui prouverait quâil avait du cÅur! Il jugea toutefois quâil valait mieux se taire pour lâinstant. Mais avant de repartir, sa nature fantasque reprit le dessus et il ne put sâempêcher de lui dire:
â Nâavez-vous pas reçu un paquet venant de France, récemment? Qui croyez-vous vous a offert ce présent? Votre petit Papineau qui ne bouge plus de Coteau-du-Lac, lui qui peut se rendre à Québec pour les travaux de la Chambre, mais nâarrive jamais à trouver le temps de venir vous voir? La Princesse de Montpensier , cette fière dame qui inspire lâamour à plusieurs prétendants, câétait moi.
Elle était pétrifiée par la révélation. Sans aucun doute, il disait la vérité. Retrouvant son aplomb, Ovide poursuivit:
â Ce livre vous a plu, nâest-ce pas? Ma douce, je savais quâil vous plairait, parce que je vous aime, Emmélie, et votre bonheur mâimporte plus que tout. Je mâen vais, dit-il, mais je reviendrai.
Et il la salua, baisant longuement sa main quâelle ne songeait même plus à retirer, incapable de réagir.
Ce cadeau quâelle avait naturellement attribué à Papineau était celui dâOvide! Chaque soir, elle le déposait à son chevet, parce quâelle avait cru y voir le présent dâun homme quâelle estimait et avec qui elle était prête à partager sa vie. Emmélie se disait que Papineau nây faisait jamais allusion par une sorte de délicatesse touchante.
Elle sâétait amèrement trompée. Le cadeau nâétait pas de lui. Entendre les aveux dâOvide avait été insupportable. Elle ne put sâempêcher de sâinterroger sur Louis-Joseph Papineau. Avait-il sincèrement pour elle les sentiments profonds quâelle lui prêtait? Ovide avait réussi à semer le doute dans son esprit.
Emmélie entendit la porte qui se refermait et quelques instants plus tard, le bruit dâun cheval sâélançant au galop dans lâallée. Il nâen fallut pas plus pour que ses parents et Zoé reviennent au salon. Emmélie se précipita dans les bras de sa mère en tremblant.
â Allons, ma chérie, câest fini, dit madame Boileau, voyant que sa fille venait de vivre une forte émotion.
â Pourquoi est-il venu ici? murmura Emmélie pour elle-même, profondément bouleversée.
â Le fils Rouville tâa demandé en mariage? demanda son père. Alors, raconte, exigea-t-il, sans voir à quel point elle était défaite.
â Câest exact, répondit-elle dâune voix éteinte. Et jâai refusé.
â Je ne peux pas croire, Emmélie Boileau, que tu aies dit non à une pareille proposition.
Et il sortit de la pièce, en proie à une grande déception, sous le regard désespéré de sa fille.
â Essaye de comprendre ton père, dit doucement madame Boileau.
â Oh! Mère, si seulement vous saviez, geignit-elle.
Et elle sâeffondra en pleurs dans ses bras, secouée de gros sanglots.
Madame Boileau la laissa pleurer tout son saoul. Lorsque Emmélie sortit enfin son mouchoir pour essuyer ses larmes, sa mère la ramena à la réalité.
â Maintenant, tu me dois une explication claire. Je veux tout savoir à propos de ce monsieur. Pourquoi tu tâen défies, pourquoi il fait si peur à Marguerite. Car sâil revient à la charge, et jâai bien peur quâil nâait pas
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