Julie et Salaberry
obtenu facilement son congé auprès de Watteville. Il nâen avait même pas parlé à Salaberry.
â Les rumeurs font effectivement état dâune armée considérable en nombre, disait justement monsieur Boileau, mais nous nâavons encore aucun rapport officiel sur la bataille de Châteauguay. Bien entendu, nous avons lu les ordres généraux dans la Gazette de Montréal et la Gazette de Québec qui félicitent votre beau-frère et les autres généraux, poursuivit-il.
Ovide de Rouville sâétait présenté chez les Boileau à lâimproviste, au milieu de lâaprès-midi. Il revenait de guerre et souhaitait revoir ses vieux amis, avait-il prétendu. Mais il nây avait trouvé personne, sinon le père de famille. Auparavant, Ovide sâétait assuré que René nây serait pas. Le notaire était parti à BelÅil donner un coup de main à un confrère débordé.
â Les dames de la maison ne devraient plus tarder, expliqua le bourgeois en consultant une montre en or retenue par une chaîne à son gilet. Elles sont chez madame Talham qui vient de recevoir des nouvelles de son frère le voltigeur, celui-là même que vous aviez engagé dans votre compagnie, capitaine de Rouville. Il était à Châteauguay.
â Je nâai dâailleurs quâà me louer de son enrôlement puisque mon beau-frère Salaberry lâa distingué, avança hypocritement Rouville. Dâailleurs, vous savez, il nâa pas eu de plus ardent défenseur que moi lors des incidents déplorables que vous connaissez.
â Votre nom a bien été prononcé, je me rappelle, fit Boileau qui était soulagé dâentendre que, contrairement à ce que René prétendait, le capitaine de Rouville avait aidé Godefroi. Nous sommes tous très fiers de lui. Le colonel lui a même fait lâhonneur de le prendre comme messager personnel. Il est en mission à Chambly pour livrer une lettre à madame de Salaberry.
â Ah! Cher monsieur Boileau! sâépancha Ovide en agrippant lâépaule du bourgeois comme le font les meilleurs amis. Nous avons en effet beaucoup en commun. Cette vieille amitié entre nos familles! Mon père, parrain du jeune Talham, et ma sÅur, marraine de la petite Marie-Anne, les enfants de vos cousins.
Monsieur Boileau opina gravement pour montrer lâimportance quâil accordait à ces liens inaltérables.
â Je vous ressers encore un peu de porto, monsieur de Rouville?
â Ah, oui, très volontiers.
Ovide tendit son verre avant de boire délicatement une gorgée et fit claquer sa langue, en connaisseur.
â Il est excellent. Il faut me dire qui est votre fournisseur.
â Heu! Vous savez, jâai mes petits secrets qui⦠doivent demeurer secrets, mais qui me permettent de régaler mes amis.
Rouville avait beau le flatter comme le faisait le renard au corbeau de la fable, monsieur Boileau ne révélerait jamais comment ses cousins américains contribuaient à sa provision de bonnes bouteilles. Il conserverait jalousement pour lui sa source dâapprovisionnement.
â Très bien, accepta Ovide de bon gré en se penchant vers le bourgeois. Qui sait, peut-être quâun jour vous aurez toutes les raisons de partager ce secret avec moi, dit-il en laissant sous-entendre quâil y avait un motif autre à sa visite inopinée.
Monsieur Boileau fit mine de rien, mais Ovide vit tout de suite quâil avait saisi lâallusion.
â Buvons à votre santé!
Et joignant la parole au geste, Ovide éleva son verre en direction de son hôte et les deux hommes trinquèrent.
â Rappelez-vous que jâétais à vos côtés dans lâhistoire du pont du fossé, même si mon propre père préférait demeurer neutre. Et je vous ai suggéré lâidée du barrage!
à cette évocation, le bourgeois se mit à rire.
â Jâai tout de même perçu quelques livres ce jour-là , avant que le capitaine de milice nâintervienne, à la demande du curé.
â Justement, mon cher monsieur Boileau, je nâai pas hésité à dire au curé ce que je pensais de ses méthodes. Vous savez quâil mâen tient toujours rigueur.
â Jâai bien remarqué que messire Bédard semble être sur le
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