Julie et Salaberry
quâEmmélie ripostait.
â Mais où êtes-vous allé chercher cette idée? Il nâa jamais été question que jâépouse Ovide de Rouville!
â Faut-il que tu sois aveugle! Lâautre soir, ce jeune homme te dévorait des yeux. Il recherche constamment ta compagnie.
â Emmélie, intervint Sophie. Je me demande en quoi le fils Rouville te déplaît. Si, autrefois, il mâavait fait une demande, je veux dire avant de rencontrer Toussaint, je lâaurais certainement acceptée. Imagine! Tu pourrais devenir seigneuresse de Rouville, renchérit lâinsouciante. Tu serais vraiment sotte de laisser passer pareille occasion. Pourquoi ne pas lâencourager à venir accrocher sa lanterne, comme disent les habitants?
Pour toute réponse, Emmélie jeta un regard furieux à sa sÅur. De quoi se mêlait-elle?
â Je nâai aucune inclination pour le fils Rouville. Et il en va de même pour lui, malgré ses prétentions. La seule chose qui lâintéresse, à mon avis, câest exactement ce que vous reprochiez tout à lâheure à monsieur Papineau: une dot quâil croit substantielle.
Découragé, monsieur Boileau arracha sa perruque pour se gratter le crâne.
â Ce que tu dis est parfaitement insensé! Ce garçon nâa pas besoin dâargent. Sa famille est riche et il héritera un jour dâune seigneurie. Mais il est vrai que si tu acceptais dâépouser le fils du colonel, tu aurais droit à une dot⦠heu⦠en conséquence, déclara le père, quoique avec hésitation, ne voulant pas trop sâavancer devant Sophie.
Les ententes avec les Drolet nâétant pas conclues, sa fille préférée pourrait se révéler gourmande. Le père se tourna plutôt vers sa femme:
â Vous devriez lui faire entendre raison.
â Mon ami, fit calmement madame Boileau, je crois, tout comme vous, quâOvide de Rouville est un parti inespéré. Mais comme nous aurons déjà à faire la dépense dâune noce cette année, rien ne presse.
â Rappelez-vous ses frasques de jeunesse: fainéantise, dettes de jeux, tout cela est connu, intervint René qui ne tenait pas à ce que cette idée absurde fasse trop de chemin.
â Calomnies!
â Calomnies? Et ce goût immodéré pour les servantes? Mère, pardonnez mon langage, mais on ne compte plus le nombre de pauvres filles quâil aurait culbutées. Je suis contre cette idée de mariage, à moins quâEmmélie elle-même ne le souhaite, dit le notaire en repliant la Gazette de Montréal .
â Je ne tiens pas du tout à me marier, déclara Emmélie. Et si un jour je le fais, ce sera en suivant mon inclination.
â Nous verrons bien! gronda le père.
Tout en rangeant la lettre controversée dans sa poche, Emmélie coupa court à tout autre argument en se tournant vers sa sÅur:
â Tu te rappelles? Nous avons promis une visite à Marguerite, après dîner.
â Je nâai pas oublié, répondit vivement Sophie qui nâaimait pas les disputes. Jâai hâte de revoir la petite Marie-Anne qui doit être ronde comme une pomme.
â Je peux aller avec vous? supplia Zoé qui sirotait son chocolat. Jâai terminé mes devoirs, même celui de géographie, que je déteste.
Emmélie consulta sa mère du regard.
â Mais oui! Nâest-ce pas, Sophie?
Cette dernière se leva et entoura la petite sÅur de ses bras tendres.
â Bien sûr, ma jolie! Viens, allons nous apprêter pour sortir.
Depuis que la date du mariage était arrêtée, Sophie débordait dâaffection pour ses proches. Mais il restait encore de longs mois à profiter de sa famille, la cérémonie étant prévue pour le 26 octobre.
â Pauvre Talham! fit monsieur Boileau en se levant de table. Lorsque vous le verrez, rappelez-lui de ma part quâil est plus difficile dâélever des filles que des garçons.
â Mon mari! Mais comment pouvez-vous dire de telles choses, et devant nos filles, par-dessus le marché! Décidément, mes enfants, votre père nâa pas tous ses esprits ces derniers temps, critiqua madame Boileau. Je ne reste pas une seconde de plus dans cette maison, ajouta-t-elle, excédée par lâattitude de son époux. Mes filles, je vous
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