Julie et Salaberry
accompagne.
«Mon père et ses airs de matamore!» soupira René. Lui qui pouvait être de si agréable société. Mais on aurait dit que lâaffaire du ponceau en faisait un homme acariâtre. Et voilà que même Emmélie sâattirait son animosité. René se dit quâil nâen pouvait plus de lâentendre déblatérer sur les uns et sur les autres et quâil avait besoin dâair, lui aussi. Il se retira pour aller préparer son paquet. Vivement Montréal!
Emmélie attrapa son chapeau et son manteau, et sortit rejoindre sa mère et ses sÅurs qui lâattendaient. Elle répondrait à Papineau, comme le réclamait la politesse la plus élémentaire. Dâailleurs, fallait-il commencer sa lettre par Monsieur Papineau  ou Cher monsieur Papineau , ou plutôt par Mon cher monsieur Papineau ?
Les demoiselles bessonnes vivaient toujours dans lâancien manoir des Niverville. Câétait une maison trapue aux murs chaulés, écrasée par un toit à quatre versants recouverts de vieux bardeaux de cèdre qui manquaient par endroits. Lâhumidité résultant de cet état des choses accélérait la décrépitude de la demeure centenaire et plus rien ne subsistait du lustre dâautrefois. Deux lucarnes de dimension modeste éclairaient les combles, ajoutant un peu de fantaisie à cette architecture ancienne. La lutte constante pour contrer le froid était irrémédiablement vouée à lâéchec: deux cheminées peu efficaces, ainsi quâune pratique de lâéconomie restreignant lâachat de bois de chauffage expliquaient cet état de fait.
Ce matin-là , une expression scandalisée ne quittait pas le visage de Thérèse, lâune des demoiselles, qui tirait sur sa mitaine afin de mieux saisir une tasse contenant un café amer et sans sucre, privation due à la période du carême.
â Sais-tu ce que Marie-Desanges vient de mâapprendre? Le notaire Boileau épouserait notre Julie.
â Lâignoble famille! sâoffusqua sa sÅur qui trempait du pain dur dans la même insipide boisson. Mais dâoù tient-elle cela?
â DâUrsule, la cuisinière des Boileau.
â Et si cette prétentieuse a pu apprendre cette nouvelle, câest bien parce quâelle lâa entendue de la bouche même de ses maîtres, fit Madeleine. Sinon, Julie et madame de Rouville auraient pris la peine de nous informer.
â Il semble plutôt que la servante ait écouté aux portes. Rien ne peut me surprendre, venant de ces gens. Cette Emmélie, que tout le monde prend pour une sainte, aurait servi dâentremetteuse. Et tu ne sais pas tout. Lâaînée des Boileau espère épouser le frère de Julie.
â Oh! Ma sÅur, je crois que je vais avoir une crise de nerfs!
à lâidée du notaire posant ses affreuses pattes pleines dâencre sur leur chère petite, Madeleine frémissait dâindignation. Le sort du fils Rouville la laissait indifférente. Sâil se laissait prendre par les artifices de la séduction dâune fille Boileau, câétait tant pis pour lui. Elle nâétait pas près dâoublier quâil avait attaqué un jour Marie-Desanges et que celle-ci était passée à un cheveu de leur rendre son tablier.
Les demoiselles de Niverville lapèrent bruyamment le café chaud, avant dây tremper leur pain durci.
â Toutes ces rumeurs démontrent que les Boileau complotent pour sâemparer de la fortune des Rouville! affirma Madeleine.
â Nous lâavons toujours dit. Ils sont dâune insatiable avidité. Le grand-père a plongé notre famille dans la misère, au point que Louise, notre chère petite sÅur, a dû se résoudre à épouser le marchand David Lukin, se lamenta Thérèse, justifiant par le fait même un mariage quâelles avaient toujours désapprouvé, tout en passant sur le fait que leur cadette ne manquait ni de toilettes ni dâargent.
â Et avec lâaffaire du ponceau, le père Boileau sâen prend maintenant à notre beau-frère Lukin. Il souhaite sans doute le mettre sur la paille.
â Dans quel monde vivons-nous, je me le demande! sâécria Madeleine après sâêtre tamponné les lèvres avec une vieille serviette.
â Et
Weitere Kostenlose Bücher