Julie et Salaberry
tremblante.
â Considérez le major de Salaberry comme un prétendant à votre main. Car René nâest pas pour vous, Julie. Il ne veut pas se marier, ni avec vous ni avec personne dâautre, dâailleurs.
Emmélie venait de lui asséner un dur choc. Comme de fait, Julie se leva brusquement, le visage plein de colère et de frustration. Emmélie sâarrogeait le droit de lui certifier que le notaire ne lâaimait pas.
â Jamais je nâoublierai lâaffront⦠et la peine que vous me faites, affirma la demoiselle de Rouville dâune voix blanche.
â Pourtant, Julie, il nây avait quâune amie sincère pour prononcer les mots que vous ne vouliez pas entendre et vous ouvrir les yeux. Un jour, je lâespère ardemment, vous me pardonnerez.
Mais Julie repartit sans même un mot dâadieu. Un violent tremblement secoua Emmélie qui ne put retenir ses larmes. à cause de sa franchise, elle venait peut-être de perdre une amie.
Emmélie nâavait jamais envisagé le mariage pour elle-même, trop accaparée par ses responsabilités familiales. Elle secondait sa mère pour la bonne marche de la maisonnée, mais la tâche à laquelle elle consacrait beaucoup de temps était lâéducation de Zoé, à qui elle enseignait tout ce quâelle-même avait appris au couvent. Instruire sa jeune sÅur lui plaisait au point quâelle caressait le rêve dâouvrir une école pour jeunes filles.
Mais lâapparition de Papineau dans sa vie lui ouvrait des perspectives nouvelles, sans quâelle puisse dire encore si elle était amoureuse. Elle avait cru fermement quâune fois arrivé à Québec, Papineau ne penserait plus aux gens de Chambly, et encore moins à elle, demoiselle Emmélie Boileau.
Câest pourquoi elle était heureuse de sâêtre trouvée seule à lire sa lettre arrivée par le dernier courrier, la pressant ensuite sur son cÅur, les joues couvertes dâun léger incarnat.
Il lui fallait évidemment faire part de cette correspondance à toute la famille, le contraire aurait de toute façon été impensable. Plus tard, à la table familiale, Emmélie entreprit de lire la lettre de Papineau sans omettre un seul mot.
â Ce petit avocat a osé tâécrire sans mon autorisation, constata sévèrement son père. Après toutes ses belles promesses, il mâa complètement abandonné dans lâaffaire du ponceau.
Déclaration qui ne reflétait pas tout à fait la vérité. En réalité, monsieur Boileau nâavait pas voulu écouter les conseils de son avocat. Papineau était désormais à Québec où il avait repris son siège à la Chambre dâassemblée.
René leva le nez de la Gazette de Montréal .
â Père, Louis-Joseph Papineau promet de devenir un grand politicien. Sans compter quâil héritera un jour de la seigneurie de la Petite-Nation que son père, mon éminent collègue le notaire Joseph Papineau, a achetée il y a quelques années.
â Sans doute, sans doute, grommela monsieur Boileau, sans conviction.
â Monsieur Papineau veut simplement poursuivre par écrit les conversations que nous avions ici même, devant mère et devant vous, se défendit Emmélie. Il fait une belle description du début de la session parlementaire. Je croyais que ces choses-là vous intéressaient également.
Comme piqué au vif, monsieur Boileau se jeta dans une furieuse algarade qui surprit tout le monde.
â Sacrelotte! Je te croyais plus intelligente, ma pauvre fille. Pourquoi penses-tu que Papineau sâintéresse à toi, sinon parce quâil croit, à tort évidemment, que tu auras droit à une dot importante? Cet homme, ton frère lâa dit, nâa dâautre intérêt que la politique et nâa rien à faire avec une simple demoiselle de Chambly.
â Ce que vous dites est parfaitement odieux, lâinterrompit René, stupéfait par ces propos virulents. Je ne vous comprends pas, père.
â Ce qui est certain, câest que si les Rouville apprennent ces⦠échanges épistolaires, ils croiront que ta sÅur a un engagement et ne voudront pas entendre parler dâun mariage entre elle et leur fils.
«Ah! Nous y voilà !» se dit René tandis
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