Julie et Salaberry
dâenterrement.
«Une mine dâenterrement qui lui est venue en me voyant», songea Emmélie en coupant le pain dont Marguerite tartinait les tranches de beurre et de confiture. «Elle est toujours fâchée», conclut-elle avant que toutes ne retournent à la chambre de compagnie.
Quelques minutes plus tard, pendant quâEmmélie et Marguerite servaient les dames, ces dernières admiraient lâair de bonne santé de la petite Marie-Anne, bien grasse et de bonne humeur. Réveillée, la pouponne gazouillait devant ses admiratrices.
â Nâest-ce pas que ma filleule est ravissante? dit Julie avec un enthousiasme qui sonnait faux.
La présence dâEmmélie la gênait. Nâavait-elle pas été trop dure avec elle, lâautre jour? Julie avait eu le temps de réfléchir et sâen voulait dâavoir heurté son amie qui lâavait pourtant mise en face de la vérité. Elle pourrait peut-être se rattraper aujourdâhui.
â Elle te ressemble, Marguerite, dit madame Boileau en retirant dâautorité lâenfançon des bras de Sophie. Elle aura tes yeux, et sans doute ton bon caractère. Rien ne semble la déranger.
â Merci, ma tante. Tant mieux si elle a bon caractère, comme vous dites. Elle en aura besoin, ma mignonette, avec trois chenapans pour lâendêver.
à leur tour, les demoiselles examinèrent lâenfant avec de vagues sourires satisfaits avant de passer au sujet qui les intéressait.
â Dites-nous, chère petite, demanda Thérèse en se tournant vers Julie, avez-vous eu des nouvelles de votre cousin? Votre père racontait lâautre jour que Sir George  â la vaine tentative de prononciation à lâanglaise fit surgir quelques sourires â, le gouverneur lui-même, recevrait Salaberry, et quâil avait de grands projets pour lui.
â Salaberry est un nom aussi ancien que le vôtre, chère madame de Gannes de Falaise, dit Madeleine en redonnant à madame Boileau son nom de jeune fille.
Elle connaissait par cÅur la généalogie des grands personnages et prononçait le nom des Salaberry avec une vénération telle quâon aurait cru que surgissait dans la pièce le fantôme du bon roi Henri IV, à cheval et sâécriant: Force à superbe! Mercy à faible! la devise ornant les armoiries de cette noble famille.
â Mère remonte au xiv e siècle, renchérit la sentencieuse Zoé qui avait toujours été impressionnée par le blason maternel.
â Ce nâest pas mère qui remonte au xiv e siècle, mais son nom, sâesclaffa Sophie en échangeant un regard amusé avec Emmélie.
Pour sa part, madame Boileau se méfiait toujours lorsque les demoiselles de Niverville étalaient les quartiers de noblesse des uns et des autres. En général, câétait pour lui rappeler à quel point elle avait «déchu» le jour de son mariage. Elle se retourna vers Marguerite pour la complimenter sur le goût exquis du pain⦠sachant pourtant bien quâil provenait de sa propre cuisine.
Mais rien ne pouvait empêcher les demoiselles de faire lâéloge du major de Salaberry, le seul homme digne de Julie. Elles étaient déterminées à écraser les prétentions de quiconque pourrait avoir des visées sur leur chère petite .
â Et les yeux de ce grand guerrier! Impossible de les oublier.
â Ce sont là les yeux dâun héros! approuva sa sÅur dâemblée.
Sophie ne put retenir un sourire malicieux en entendant la dernière exclamation. Sans contredit, les demoiselles de Niverville avaient été subjuguées par Salaberry. Lâune dâentre elles rêvait peut-être dâen faire son époux? Son sourire sâamplifia à cette pensée saugrenue. Au fait, quel âge avaient-elles? Au moins quarante ans, sinon cinquante. Impossible de leur donner un âge précis.
â Ma chère Julie, dit alors la première demoiselle, quelle chance exceptionnelle que la vôtre!
â Assurément! renchérit la seconde. Tout ce bonheur qui vous attend. Comment ne pas vous envier?
â Mais, que voulez-vous dire? demanda Julie, son regard allant de lâune à lâautre.
â Ne soyez pas aussi cachottière.
â Moi, cachottière?
â Eh bien! Eh bien! Il semble
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