Julie et Salaberry
les mots quâelle contenait⦠Quâest-ce que tout cela signifiait au juste? Jamais René ne lui avait envoyé de lettre, même pas un mot de courtoisie. Pourquoi ne lâavait-il pas fait? Câétait toujours sa mère ou ses sÅurs qui se chargeaient de transmettre les civilités de la famille. Elle éprouva le désir soudain de se confier à quelquâun.
Julie avait trouvé Emmélie seule à la maison rouge. En fait, Zoé faisait ses devoirs et la confection du trousseau de la fiancée accaparait madame Boileau et Sophie. Ce nâétait pas encore lâheure des visites.
â Votre cousin a⦠beaucoup dâestime pour vous, déclara Emmélie après avoir lu la lettre de Salaberry.
Julie semblait profondément perturbée et Emmélie comprenait pourquoi elle était accourue aussitôt la lettre reçue. En janvier, les attentions de Salaberry avaient provoqué un émoi nouveau chez Julie, mais depuis, il nâavait plus donné de nouvelles et René avait rapidement repris sa place dans le cÅur de la demoiselle de Rouville. De cela, Emmélie nâavait guère de doute. Des regards furtifs, des rougeurs soudaines et combien dâautres signes lui avaient appris que Julie nourrissait de tendres sentiments pour son frère et tentait désespérément de le lui faire comprendre.
Pauvre Julie! Lâindifférence de René face aux choses de lâamour cachait le fait quâil ne voulait pas se marier et Emmélie assistait, silencieuse, aux vaines tentatives de son amie pour séduire son frère. Mais voilà quâun homme semblait vouloir sâengager dans une relation sérieuse et Julie, qui songeait beaucoup trop à René, ne pouvait faire autrement que dâêtre chavirée. Emmélie laissa là ses réflexions.
â Je ressens une étrange impression, lui confia Julie. Croyez-vous que Charles me voit⦠comme lâune de ses sÅurs? Si vous saviez à quel point il les estime⦠Je ne sais quoi penser.
â Il me semble pourtant que certains mots dépassent ce quâun frère peut dire à une sÅur, même chérie. Je crois plutôt que le major de Salaberry sonde votre cÅur. Il vous demande même si vous avez de tendres pensées à son égard.
â Vous croyez? protesta faiblement Julie qui avait, bien entendu, envisagé la question sous cet aspect, mais sans pouvoir lâaffirmer hors de tout doute.
â Et si vous lui répondez dans le sens quâil espère, poursuivit Emmélie avec assurance, le major vous écrira certainement dâautres lettres aussi charmantes et, je dirais, plus explicites sur ses sentiments. Ce qui me réjouit, puisque je suis votre amie.
Cette lettre de Salaberry était peut-être une occasion de mettre fin au rêve fumeux de Julie. «Mais comment sây prendre pour lui apprendre la vérité sans douleur?» se demanda la jeune fille, non sans une certaine angoisse.
Emmélie réfléchissait rapidement pour élaborer une tactique. Elle tira de sa poche une lettre quâelle tendit à Julie.
â Câest curieux, fit Emmélie avec un sourire engageant. Voyez, moi aussi, jâai reçu du courrier.
Mademoiselle Emmélie Boileau, Chambly
Québec, 6 mars 1812
Chère demoiselle,
Je me permets de vous écrire pour me rappeler à votre amitié. Comme jâavais promis de vous tenir au courant des péripéties de notre vénérable assemblée, me voici prêt à remplir mon devoir de correspondant de la Chambre et à satisfaire votre curiosité. Une première nouvelle fera plaisir à votre curé: son frère, non pas lâavocat, mais bien monsieur Pierre-Stanislas Bédard, le chef du Parti canadien, un homme que je vénère, est enfin de retour à la Chambre après deux ans dâabsence. Vous vous rappelez sans doute son arrestation et son emprisonnement décrétés par lâinique gouverneur Craig, en 1810. Cet homme a laissé un si mauvais souvenir au pays que jâai été nommé à un petit comité chargé dâenquêter sur les agissements de lâancien gouverneur, mais je crains fort que notre rapport soit dédié à la poussière plutôt quâà la justice. Au contraire de Craig, Sir George Prévost, le nouveau gouverneur, semble
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