Julie et Salaberry
sympathique à notre peuple. à Québec, la possibilité dâune guerre retient aussi lâattention de tous et Prévost a ouvert la session avec un discours qui nous fait croire quâelle aura bel et bien lieu.
Une résolution en vue de verser des indemnités aux membres de lâAssemblée a été présentée. Saviez-vous que nous, pauvres députés, siégeons à Québec à nos frais, sans compensation aucune? Ce qui fait honneur à notre sens du devoir et du service public, mais allège nos bourses! Malheureusement, cette résolution a été reportée et je crois quâil faudra encore plusieurs tentatives avant quâelle ne soit un jour acceptée.
Et vous, chère demoiselle, caressez-vous toujours ce rêve dâouvrir une école, comme vous me lâaviez confié? Je vous encourage à poursuivre ce noble projet dâéducation.
Mon père, à qui jâai écrit pour raconter mon séjour à Chambly, me charge de transmettre ses meilleures salutations au vôtre. Dites-lui que je suis son affaire de près et lui écrirai prochainement les détails quâil attend. Rappelez mon bon souvenir à votre mère, ainsi quâà vos sÅurs et votre frère, le notaire Boileau. Et vous, chère demoiselle, préservez votre belle santé pour vos amis, dont fait partie votre humble et obligeant serviteur,
L. J. Papineau
P.-S. Vous pouvez mâécrire chez monsieur Bruneau, à Québec.
â Câest une lettre fort plaisante, commenta Julie. Il raconte avec beaucoup dâesprit ce qui se passe à la Chambre. Très intéressant, ajouta-t-elle sans conviction.
Elle préférait nettement sa lettre à celle dâEmmélie quâelle trouvait dâune navrante banalité. Cette dernière retourna la missive de Papineau dans sa poche. Contrairement à ce que pouvait penser Julie, les mots du député lui avaient procuré une émotion nouvelle. Elle devinait chez Papineau le désir dâentreprendre une relation qui pourrait un jour se transformer en engagement. Mais ce jour était encore loin et elle préférait garder la tête froide. Les amours de Julie lui apparurent plus importantes pour lâheure, dâautant que dans la lettre du major de Salaberry, elle discernait des intentions précises. Cet homme appartenait à son milieu et Julie ne pouvait laisser passer cette chance.
â Vous voyez bien que ce que mâécrit monsieur Papineau relève de lâamitié, alors que la lettre du major est une lettre galante. Vos lettres seront comme autant de rayons de soleil⦠celui à qui vous manquez⦠Ce sont là des mots dâamour et câest ce qui vous trouble tant, nâest-ce pas?
En rougissant, Julie hocha la tête.
â Que dois-je faire, Emmélie?
â Interroger votre cÅur, osa la jeune fille tout en priant pour que les intentions de Salaberry soient sérieuses. Et y répondre rapidement, ajouta-t-elle avec assurance.
Elle se pencha vers Julie pour prendre ses mains dans les siennes.
â Puisque vous mâhonorez de votre confiance et de votre amitié, permettez-moi dâêtre franche avec vous.
â Que voulez-vous dire?
â Je crois que vous le savez parfaitement. Vous êtes venue ici pour entendre ce que je vais vous dire. Vous vous bercez de chimères en pensant à mon frère, je vous assure.
â Que dites-vous là ? insista Julie, suffoquée.
Elle se libéra violemment des mains dâEmmélie. Comment pouvait-elle prétendre connaître des sentiments quâelle tenait profondément cachés?
â Vous vous trompez! nia-t-elle farouchement.
Câétait pourtant un aveu. La panique dans les yeux de Julie prouvait à Emmélie quâelle avait fait mouche. Salaberry venait jeter le trouble dans ce cÅur qui sâillusionnait depuis trop longtemps dâun amour impossible.
â Bien sûr, pour nous, femmes, il est naturel dâaspirer au mariage et de souhaiter la meilleure union qui soit pour assurer notre bonheur, puisque câest cela qui détermine le reste de notre vie, dit Emmélie pour lâapaiser. Qui voudrait entreprendre pareille aventure sans avoir la certitude que son choix sera le bon? Câest pourquoi la perspective de se tromper est terrifiante.
â Ce qui signifie? demanda Julie,
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