Kenilworth
personne n’est allé plus avant dans le grand mystère ; mais écoute bien ce que je vais te dire : si l’assaisonnement du bouillon de Sussex avait eu un effet plus sûr, j’aurais meilleure opinion de cette chimie que tu vantes si fort.
– Tu es un scélérat endurci ; bien des gens qui osent commettre de semblables actions n’osent pas en parler.
– Et bien des gens en parlent, sans oser les commettre. Mais ne te fâche pas. Je ne veux point te chercher querelle ; car si je le faisais je serais réduit à vivre d’œufs pendant un mois, pour pouvoir manger sans crainte. Dis-moi donc sans retard comment ton art s’est trouvé en défaut dans une circonstance aussi importante.
– L’horoscope du comte de Sussex annonce, répondit l’astrologue, que le signe de l’ascendant étant en combustion…
– Finis donc ce bavardage, s’écria Varney : crois-tu avoir affaire à milord ?
– Pardon : je vous jure que je ne connais qu’un seul remède capable d’avoir sauvé la vie au comte ; et comme nul homme vivant en Angleterre ne connaît cet antidote excepté moi, et que d’ailleurs les ingrédiens nécessaires, et surtout l’un d’eux, sont tellement rares, qu’il est presque impossible de s’en procurer, je dois croire qu’il n’a été sauvé que par une organisation des poumons et des parties vitales, telle que jamais corps humain n’en a été doué.
– On a parlé d’un charlatan qui l’a soigné, dit Varney après un moment de réflexion. Êtes-vous sûr que nulle autre personne en Angleterre ne possède ce précieux secret ?
– Il y avait un homme qui fut jadis mon domestique et qui aurait pu me dérober ce secret de mon art, ainsi que deux ou trois autres. Mais vous devez bien penser, M. Varney, que ma politique ne souffre pas que des intrus se mêlent de mon métier. L’homme en question n’a plus envie de courir après des secrets, je vous assure ; car je crois fermement qu’il a été enlevé au ciel sur les ailes d’un dragon de feu… La paix soit avec lui ! Mais, dans la retraite où je vais être confiné, aurai-je l’usage de mon laboratoire ?
– De tout un atelier, car un révérend père abbé, qui fut obligé de faire place au gros roi Henry et à ses courtisans {89} , il y a une vingtaine d’années, avait un appareil complet de chimiste, qu’il fut forcé de laisser à ses successeurs. Là tu pourras fondre, souffler, allumer, et multiplier jusqu’à ce que le dragon vert devienne une oie d’or, ou comme il plaira à la confrérie de s’exprimer.
– Vous avez raison, M. Varney, dit l’alchimiste en grinçant des dents, vous avez raison, dans votre mépris même de tout ce qui est juste et raisonnable ; car ce que vous dites par moquerie peut se réaliser avant que nous nous rencontrions de nouveau. Si les sages les plus vénérables des temps passés ont dit la vérité ; si les plus savans de nos jours l’ont reçue dans sa pureté ; si j’ai été accueilli partout, en Allemagne, en Pologne, en Italie et dans le fond de la Tartarie, comme un homme à qui la nature a dévoilé ses mystères les plus impénétrables ; si j’ai acquis les signes les plus secrets et les mots de passe de toute la cabale juive à un tel degré de perfection que la barbe la plus vénérable de la synagogue balaierait les marches du temple pour les rendre dignes de mes pieds ; s’il n’y a plus qu’un pas entre mes longues et profondes études et cette lumière qui me découvrira la nature veillant sur le berceau de ses productions les plus riches et les plus glorieuses ; si un seul pas reste entre ma dépendance et le pouvoir suprême, entre ma pauvreté et un trésor si immense que, sans ce noble secret, il faudrait réunir pour l’égaler les mines de l’ancien et du nouveau monde… dites-moi, je vous prie, n’ai-je pas raison de consacrer ma vie à cette recherche ; convaincu que, dans un court espace de temps patiemment employé à l’étude, je m’élèverai au-dessus des favoris et de leurs favoris, dont je suis aujourd’hui l’esclave ?
– Bravo ! bravo ! mon bon père, dit Varney avec l’expression ordinaire de sa causticité et de son rire sardonique ; mais toute cette approximation de la pierre philosophale ne tirera pas un seul écu de la bourse de milord Leicester, et encore moins de celle de Richard Varney. Il nous faut des services terrestres et visibles ; peu nous importe que tu amuses ailleurs avec ta
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