Kenilworth
vous-même risquer.
– Un instant, dit Wayland ; dites-moi seulement une chose : est-ce que le vieillard qui est arrivé ce soir se rend à Cumnor-Place ?
– Certainement, répondit l’aubergiste : leur domestique a dit qu’il avait ordre d’y transporter leur bagage ; mais l’ale a eu sur lui autant de pouvoir que le vin des îles sur Michel.
– C’en est assez, dit Wayland prenant un air résolu, je confondrai les projets de ce vieux scélérat. La crainte que m’inspire son horrible aspect commence à faire place à la haine. Aide-moi à charger ma balle, bon aubergiste. – Prends garde à toi, vieil Albumazar {91} ; il y a dans ton horoscope une influence maligne, et elle vient de la constellation de la grande Ourse.
En parlant ainsi, Wayland mit sur ses épaules sa boutique portative ; et, guidé par l’aubergiste, il sortit par une porte de derrière, et prit le chemin le moins fréquenté pour se rendre à Cumnor-Place.
CHAPITRE XX.
Le Clown {92} .
« Il y a de ces colporteurs qui sont toute autre chose que vous ne pensez, ma sœur. »
SHAKSPEARE, Conte d’hiver , acte IV, scène III.
Dans sa sollicitude pour suivre à la lettre les recommandations que le comte lui avait souvent faites, et obéissant aussi à ses dispositions insociables et à son avarice, Tony Foster, en montant sa maison, avait plutôt cherché à éviter de se faire remarquer qu’à se mettre à l’abri d’une curiosité indiscrète. C’est pourquoi, au lieu d’un nombreux domestique pour veiller à la sûreté de son dépôt et défendre sa maison, il avait cherché à mettre en défaut les observateurs en réduisant le nombre de ses gens : aussi, excepté quand il y avait chez lui quelqu’un de la suite de Varney ou de celle du comte, un vieux domestique et deux vieilles femmes qui aidaient à faire les appartemens de la comtesse étaient seuls employés dans la famille. Ce fut une de ces vieilles femmes qui ouvrit la porte lorsque Wayland frappa, et qui répondit avec des injures à la demande qu’il faisait d’être admis à montrer ses marchandises aux dames de la maison. Le colporteur trouva moyen d’apaiser ses cris en lui glissant une pièce d’argent dans la main, et en lui laissant entendre qu’il lui ferait présent d’un morceau d’étoffe pour une robe si sa maîtresse lui achetait quelque chose.
– Dieu te bénisse ! car la mienne est toute en lambeaux. Glisse-toi avec ta balle dans le jardin ; elle s’y promène.
En conséquence elle l’introduisit dans le jardin, et, lui montrant un vieux pavillon en ruines, lui dit : – La voilà, mon garçon, la voilà ; elle fera de bonnes emplettes si tes marchandises lui conviennent.
– Elle me laisse, pensa Wayland en entendant la vieille femme fermer la porte du jardin derrière lui, et il faudra que j’en sorte comme je le pourrai. On ne me battra pas, et l’on n’osera pas me tuer pour une si légère transgression et par une si belle soirée. C’est résolu ; je vais avancer : jamais bon général ne doit penser à la retraite que lorsqu’il se voit vaincu. J’aperçois deux femmes dans le vieux pavillon, mais comment les aborder ? Voyons. William Shakspeare, sois mon sauveur dans cette conjoncture. Je vais leur donner un morceau d’Autolycus. Alors, d’une voix forte et avec assurance, il chanta ce couplet populaire de la pièce {93} :
Voulez-vous dentelles de Liège,
Masques en satin, gants en peau,
Du linon plus blanc que la neige,
Du crêpe noir comme un corbeau ?
– Qu’est-ce que le hasard nous envoie aujourd’hui, Jeannette ? dit la dame.
– Madame, répondit Jeannette, c’est un de ces marchands de vanités qu’on appelle colporteurs, qui débitent leurs futilités avec des chansons encore plus futiles. Je suis étonnée que la vieille Dorcas l’ait laissé passer.
– C’est une bonne fortune, mon enfant, dit la comtesse ; nous menons ici une ennuyeuse vie, et nous pourrons nous distraire peut-être quelques momens.
– Hélas ! oui, ma gracieuse dame, dit Jeannette ; mais mon père…
– Il n’est pas le mien, Jeannette, ni mon maître, j’espère : ainsi, fais venir ici cet homme, j’ai besoin de plusieurs petits objets.
– Mais, madame, s’il en est ainsi, vous n’avez qu’à le faire savoir par votre première lettre, et si ce dont vous manquez peut se trouver en Angleterre, on vous le procurera certainement. Il nous en arrivera quelque malheur. Je
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