Kenilworth
Jeannette, elle cherchait à bannir toute apparence d’humeur. – Je serais fâchée, dit-elle, mon brave homme, que notre reine abjurât son titre de vierge, qui est si cher à tous ses sujets : sois sûr qu’il n’en sera rien. Et ensuite, désirant changer d’entretien : Mais quelle est cette composition si soigneusement placée au fond, de cette boîte d’argent ? ajouta-t-elle pendant qu’elle examinait l’intérieur d’une cassette où des drogues et des parfums étaient disposés dans des tiroirs séparés.
– C’est un remède, madame, contre une maladie dont j’espère que vous n’aurez jamais sujet de vous plaindre. Une dose de ce médicament, de la grosseur d’un pois de Turquie, avalée pendant une semaine de suite, fortifie le cœur contre les vapeurs noires qu’engendrent la solitude, la tristesse, une passion malheureuse, un espoir déçu.
– Êtes-vous fou ? dit la comtesse vivement, ou croyez-vous que, parce que j’ai eu la bonté d’acheter vos mauvaises marchandises à des prix exorbitans, vous pourrez me faire croire tout ce qui vous viendra dans l’esprit ? Qui a jamais entendu dire que les affections du cœur étaient susceptibles de céder à des remèdes administrés au corps ?
– Sous votre honorable plaisir, dit Wayland, je suis honnête homme, et je vous ai vendu mes marchandises à des prix modérés. Quant à ce précieux remède, en vous vantant sa vertu, je ne vous ai pas conseillé de l’acheter. Je ne dis point qu’il puisse guérir un mal d’esprit bien enraciné ; Dieu et le temps peuvent seuls le faire. Mais je soutiens que ce baume dissipe les vapeurs noires qui naissent dans le corps, et la tristesse qui affaisse l’âme. J’ai guéri par ce remède plus d’une personne de la cour et de la ville ; dernièrement, entre les autres, un certain M. Edmond Tressilian, noble gentilhomme de Cornouailles, que les mépris de la personne à laquelle il avait consacré toutes ses affections avaient, m’a-t-on dit, réduit à un état de tristesse qui avait fait craindre pour sa vie.
Il s’arrêta, et la comtesse garda le silence pendant quelque temps ; puis elle demanda d’une voix à laquelle elle essayait en vain de donner l’accent de l’indifférence et de la fermeté : – La personne dont vous parlez est-elle tout-à-fait rétablie ?
– Passablement, madame, dit Wayland ; au moins elle n’a plus de souffrances physiques.
– Je veux essayer ce remède, Jeannette, dit la comtesse ; moi aussi j’ai des accès de cette mélancolie noire qui attaque le cerveau.
– Non assurément, madame, dit Jeannette ; qui vous répond que les drogues de ce marchand ne sont pas dangereuses ?
– Je serai moi-même le garant de ma bonne foi, dit Wayland. Et prenant une portion du remède, il l’avala en leur présence. La comtesse acheta le reste, les observations de Jeannette n’ayant servi qu’à la déterminer davantage à exécuter son dessein. Elle en prit même sur-le-champ une première dose, et assura qu’elle trouvait déjà son cœur allégé et sa gaieté réveillée, résultat qui, selon toute apparence, n’existait que dans son imagination. Alors elle rassembla toutes ses emplettes, donna sa bourse à Jeannette en lui recommandant de payer le colporteur, pendant qu’elle-même, comme déjà fatiguée de l’intérêt qu’elle avait d’abord pris à sa conversation, lui souhaita le bonsoir, et rentra nonchalamment au château, ôtant par là à Wayland tout espoir de lui parler en particulier. Il s’empressa cependant d’avoir une explication avec Jeannette.
– Jeune fille, dit-il, je lis sur ton visage que tu dois aimer ta maîtresse. Elle a grand besoin de services fidèles.
– Et elle le mérite de moi, répliqua Jeannette. Mais où voulez-vous en venir ?
– Jeune fille, je ne suis pas précisément ce que je parais être, dit Wayland baissant la voix.
– Double raison pour croire que tu n’es pas un honnête homme.
– Double raison pour me croire tel, puisque je ne suis point colporteur.
– Sors donc d’ici sur-le-champ, ou je vais appeler au secours ; mon père doit être de retour.
– Ne fais pas cette folie, tu t’en repentirais. Je suis un des amis de ta maîtresse ; elle a besoin d’en acquérir d’autres, et non de perdre par ta faute ceux sur lesquels elle peut compter.
– Quelle preuve ai-je de tes bonnes intentions ?
– Regarde-moi en face, et vois si tu ne lis point sur
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