Kenilworth
naturellement aucun goût ni pour le métier, ni pour l’aiguille, ni pour la tenue des livres. Elle avait perdu sa mère étant encore enfant ; son père ne la contredisait jamais en rien, et Tressilian, qui seul était capable de cultiver son esprit, s’était fait beaucoup de tort dans son opinion pour s’être trop empressé à exercer auprès d’elle l’emploi de précepteur ; aussi cette jeune personne, dont la vivacité et les volontés ne rencontraient jamais d’opposition, le regardait avec quelque crainte et beaucoup de respect ; mais elle n’éprouva jamais pour lui ce sentiment plus doux qu’il aurait voulu lui inspirer. Dans une telle situation, le cœur d’Amy était bien exposé, et Leicester captiva aisément son imagination par son extérieur noble, ses manières gracieuses et ses flatteries adroites, avant même qu’elle le connût pour le favori de la richesse et du pouvoir.
Les fréquentes visites de Leicester à Cumnor-Place dans les premiers temps de leur union, avaient rendu supportable à la comtesse la solitude et la retraite à laquelle elle était condamnée ; mais quand ces visites devinrent de plus en plus rares, quand ce vide ne fut rempli que par des lettres d’excuses qui n’étaient pas toujours l’expression d’une tendre affection, et généralement très courtes, le mécontentement et le soupçon commencèrent à s’introduire dans ces appartemens splendides que l’amour avait préparés pour la beauté. Les réponses d’Amy à Leicester laissaient trop voir ses sentimens ; elle le pressait avec plus de franchise que de prudence de la délivrer enfin de cette obscure retraite, par la publication solennelle de son mariage ; et en disposant ses argumens avec toute l’adresse dont elle était capable, elle se fiait principalement à la chaleur des supplications dont elle les appuyait. Quelquefois même elle se hasardait à y mêler des reproches dont Leicester croyait avoir quelque raison de se plaindre.
– Je l’ai faite comtesse, disait-il à Varney ; il me semble qu’elle pourrait bien attendre, pour en prendre la couronne, que cela pût s’accorder avec mon bon plaisir.
La comtesse Amy voyait les choses sous un tout autre point de vue.
– À quoi me sert, disait-elle, d’avoir en réalité le rang et les honneurs, si je dois vivre ici prisonnière, obscure, sans aucune société, et souffrant que la médisance attaque chaque jour ma réputation ? Je ne me soucie guère de toutes ces perles dont tu ornes les tresses de mes cheveux, Jeannette. Je te dis que dans le château de Lidcote je n’avais qu’à y placer une rose nouvelle, et mon père m’appelait vers lui pour pouvoir la contempler de plus près ; le bon vieux curé souriait, et Mumblazen, qui ne pensait qu’au blason, parlait de roses de gueules . Maintenant me voici ornée d’or et de pierreries comme une relique, sans avoir aucune autre personne que toi pour voir ma parure, Jeannette. Il y avait aussi le pauvre Tressilian… Mais il est inutile d’en parler aujourd’hui.
– En effet, madame, cela est inutile, répondit sa prudente suivante, et véritablement vous me faites quelquefois désirer de ne pas vous en entendre parler si souvent ou si étourdiment.
– Tes remontrances sont hors de saison, Jeannette ; je suis née libre, quoique maintenant enchaînée, plutôt comme une belle esclave étrangère que comme l’épouse d’un seigneur anglais. J’ai supporté tout avec plaisir lorsque j’étais sûre de son amour, mais maintenant ils ont beau tenir mon corps dans l’esclavage, mon cœur et ma langue seront libres. Je le répète, Jeannette, j’aime mon époux ; je l’aimerai jusqu’à mon dernier soupir ; je ne pourrais cesser de l’aimer quand même je le voudrais ; et si lui-même cessait de m’aimer !… Dieu sait si je dois connaître ce cruel malheur ; mais je dirai hautement que j’aurais été plus heureuse si je fusse restée à Lidcote, quand même j’y serais devenue la femme du pauvre Tressilian, au regard mélancolique, et qui avait la tête pleine d’un savoir dont je ne me souciais guère. Il disait que si je voulais lire ses livres tant chéris, il viendrait un temps où je serais bien aise d’avoir suivi son conseil. Je crois que ce temps-là est arrivé.
– Madame, dit Jeannette, je vous ai acheté quelques livres d’un boiteux qui les vendait dans la place du marché, et qui m’a regardée d’une manière bien hardie, je
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