Kenilworth
aussi légèrement que qui que ce soit : dès le neuvième jour, si les fêtes durent aussi longtemps, elle sera avec nous à Kenilworth, quand elle serait forcée de voyager avec son poupon sur le dos.
Il y avait dans ce discours un certain ton libre qui ôta à la comtesse de Leicester toute envie de continuer la conversation : mais elle avait rompu le charme en parlant la première à sa compagne ; et la bonne dame qui devait remplir, dans un des intermèdes, le rôle de Gilian de Croydon {110} , eut soin d’empêcher que le silence ne rendît le voyage trop sombre. Elle raconta à sa silencieuse compagne des milliers d’anecdotes de fêtes royales où elle s’était trouvée depuis le temps du roi Henry jusqu’à ce jour, lui détailla l’accueil que lui avaient fait les grands seigneurs, lui apprit les noms des acteurs qui jouaient les principaux rôles ; elle finissait toujours ses récits en disant que tout cela ne serait rien en comparaison des réjouissances magnifiques qui auraient lieu à Kenilworth.
– Et quand y arriverons-nous ? dit la comtesse avec une agitation qu’elle cherchait en vain à dissimuler.
– Nous qui sommes à cheval, nous pouvons être à Warwick ce soir, et Kenilworth n’est qu’à quatre ou cinq milles de distance. Mais il nous faudra attendre ceux qui sont à pied. Cependant il est probable que le bon comte de Leicester enverra à leur rencontre des chevaux ou des voitures, afin de leur éviter la fatigue du voyage à pied, qui, comme vous pouvez penser, est un fort mauvais préparatif pour danser devant des gens de la cour. Néanmoins j’ai vu le temps où, avec l’aide de Dieu, j’aurais fait cinq lieues à pied le matin, et sauté sur la pointe du pied toute la soirée, comme le plat d’étain qu’un jongleur fait tourner sur la pointe d’une aiguille. L’âge a un peu diminué mon ardeur ; mais, lorsque la musique et mon cavalier me conviennent, je peux danser une gigue aussi bien et aussi long-temps qu’aucune jouvencelle du comté de Warwick, qui, pour écrire son âge, est obligée d’employer le malheureux chiffre quatre, suivi d’un zéro.
Si la comtesse se trouvait accablée de la loquacité de cette bonne femme, Wayland, de son côté, avait assez à faire pour soutenir et éluder les fréquentes attaques de l’infatigable curiosité de son ancienne connaissance Richard Sludge. Le caractère de ce nain malicieux, naturellement porté à tout observer et à s’informer de tout, s’alliait parfaitement à la tournure piquante de son esprit. Autant il espionnait les autres, autant il lui était impossible de résister au désir de se mêler de leurs affaires quand il en avait surpris le secret, quoiqu’elles ne le concernassent en rien. Il passa toute la journée à lorgner la comtesse sous son masque, et probablement ce qu’il y découvrit ne fit qu’accroître sa curiosité.
– Cette sœur à toi, Wayland, disait-il, a le cou bien blanc pour être née dans une forge, et la main bien délicate et bien blanche pour avoir été habituée à tourner un fuseau. Je t’assure par ma foi que je croirai à votre parenté lorsque l’œuf du corbeau produira un cygne.
– Tais-toi, dit Wayland, tu es un petit babillard, et tu mériterais de sentir les verges pour ton assurance.
– Fort bien, dit le lutin en s’écartant : tout ce que je puis dire, c’est que vous me cachez un secret, souvenez-vous-en ; et, si je ne vous rends un Roland pour un Olivier, mon nom n’est pas Dick Sludge.
Cette menace, et la distance à laquelle le malin espiègle se tint de lui pendant le reste du jour, alarma beaucoup Wayland. C’est pourquoi il suggéra à sa prétendue sœur l’idée de demander à s’arrêter, sous prétexte de lassitude, à trois ou quatre milles de la bonne ville de Warwick, en promettant de joindre la troupe le lendemain dans la matinée. Une petite auberge de village leur offrit un asile pour se reposer ; et ce fut avec un secret plaisir que Wayland vit toute la troupe, y compris Dick Sludge, continuer sa route après des adieux affectueux.
– Demain, madame, dit-il à sa compagne de voyage, si vous le trouvez bon, nous nous remettrons en route de bonne heure, afin d’atteindre Kenilworth avant la foule qui doit y arriver.
La comtesse approuva la proposition de son fidèle guide ; mais, à son grand étonnement, elle ne dit rien de plus à ce sujet. Cette réserve laissait ignorer à Wayland si elle avait formé
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