Kenilworth
tous, et toi, Varney, surtout, m’avez-vous caché ces circonstances ?
– Parce que la comtesse, répondit Varney, nous dit que Tressilian s’était introduit contre son gré auprès d’elle ; d’où je conclus que leur entrevue s’était passée en tout honneur, et qu’elle en instruirait, dans le temps, Votre Seigneurie. Milord n’ignore pas avec quelle répugnance nous prêtons l’oreille aux soupçons dirigés contre ce que nous aimons, et, grâce au ciel, je ne suis ni un boute - feu ni un délateur empressé à les répandre.
– Mais vous êtes trop prompt à les accueillir, sir Richard. Comment savez-vous que cette entrevue ne s’est point passée en tout honneur, comme vous le dites ? Il me semble que l’épouse du comte de Leicester peut s’entretenir quelques instans avec un homme tel que Tressilian sans qu’il doive en résulter un outrage pour moi ou un soupçon contre elle.
– Sans doute, milord, et si je ne l’eusse pas cru, je n’aurais pas gardé si long-temps ce secret. Mais voici ce qui fait présumer le contraire : Tressilian établit une correspondance avec un pauvre misérable, le maître d’une auberge de Cumnor-Place, dans le dessein de faciliter l’évasion de la dame ; il y envoie un de ses émissaires, que j’espère bientôt tenir sous clef dans la tour de Mervyn, car Killigrew et Lambsbey battent le pays pour s’emparer de lui. L’hôte reçoit une bague pour prix de sa discrétion : Votre Seigneurie peut l’avoir vue dans les mains de Tressilian ; la voilà. Son agent arrive déguisé en colporteur, tient des conférences avec milady, et ils s’échappent ensemble pendant la nuit. Ils volent un cheval à un pauvre misérable qu’ils trouvent sur la route, tant était grand leur criminel empressement. À la fin ils arrivent au château, et la comtesse de Leicester trouve un asile ; je n’ose dire où,…
– Parle, je te l’ordonne, dit Leicester ; parle, tandis que je conserve encore assez de patience pour t’entendre.
– Puisque vous le voulez, répondit Varney, la comtesse s’est rendue immédiatement dans l’appartement de Tressilian, où elle resta plusieurs heures, soit seule, soit avec lui ; je vous ai dit que Tressilian avait une maîtresse dans sa chambre ; je ne me doutais guère que cette maîtresse fût…
– Amy, tu veux dire, répondit Leicester ; c’est une imposture aussi noire que la vapeur de l’enfer ! Qu’elle soit ambitieuse, légère, impatiente, je puis le croire, elle est femme. Mais me trahir ! jamais, jamais. La preuve, la preuve de ce que tu dis ! s’écria-t-il vivement.
– Carrol, le sous-maréchal du château, l’y a conduite hier après midi par son ordre ; Lambourne et le gardien de la tour l’y ont trouvée ce matin de très bonne heure.
– Et Tressilian y était-il avec elle ? dit Leicester avec précipitation.
– Non, milord. Vous vous rappelez, répondit Varney, qu’il a été, cette nuit, placé sous la garde de Blount.
– Carrol et les autres domestiques ont-ils reconnu qui elle était ?
– Non, milord ; Carrol et Lawrence Staples n’avaient jamais vu la comtesse, et Lambourne ne l’a pas reconnue sous son déguisement ; mais, en voulant s’opposer à sa fuite de la chambre, ils se sont emparés d’un de ses gants, que milord reconnaîtra sans doute.
Il remit à Leicester le gant sur lequel les armoiries du comte étaient brodées avec de petites perles.
– Oui, je le reconnais, dit Leicester, c’est moi-même qui lui en fis présent ; l’autre était au bras qu’aujourd’hui même elle passait autour de mon cou. Il prononça ces mots avec une violente agitation.
– Milord, dit Varney, pourrait se faire certifier par milady elle-même la vérité de tout ce que j’avance.
– Cela n’est pas nécessaire, cela n’est pas nécessaire, dit le comte en proie aux plus vifs tourmens. Elle est écrite à mes yeux en traits de lumière. Je vois son infamie ! je ne puis me refuser à l’évidence. Dieu puissant ! pour cette vile créature, j’allais exposer la vie de tant de nobles amis ; ébranler un trône ; porter le fer et le feu au sein d’un royaume paisible ; combattre la généreuse souveraine qui m’a fait ce que je suis, et qui, sans cet affreux mariage, m’aurait élevé au plus haut rang qu’un homme puisse espérer ! le tout, pour une femme qui se ligue avec mes plus cruels ennemis ! Et toi, misérable, que ne parlais-tu plus
Weitere Kostenlose Bücher