Kenilworth
gouverneur de l’île de Wight ; mon beau-frère Huntingdon et Pembroke commandent dans le pays de Galles. Avec Bedfort, je dispose des puritains et de leur crédit, si puissant dans toutes les séditions. Mon frère Warwick est aussi puissant que moi ; sir Owen Hopton m’est dévoué : il est gouverneur de la Tour de Londres, et c’est là qu’est déposé le trésor public. Mon père et mon grand-père n’auraient jamais porté leur tête sur l’échafaud s’ils eussent ainsi combiné leurs entreprises… Pourquoi ce regard sombre, Varney ? Je te dis qu’un arbre qui a de si profondes racines n’est pas facilement abattu par la tempête.
– Hélas ! milord, dit Varney avec un accent de douleur parfaitement contrefait ; et ses regards reprirent cet air abattu que Leicester venait d’y remarquer.
– Hélas ! répéta le comte de Leicester ; et pourquoi hélas ! sir Richard ? Quoi ! votre nouvelle dignité ne vous inspire pas d’exclamation plus courageuse, quand une si noble lutte va s’ouvrir ? Ou si cet hélas signifie que vous avez dessein d’éviter le combat, vous pouvez quitter le château, et même aller vous joindre à mes ennemis, si cela vous plaît davantage.
– Non, répondit le confident, Varney saura combattre et mourir auprès de vous. Pardonnez si, dans ma sollicitude pour ce qui vous touche, je vois mieux peut-être que la noblesse de votre cœur ne vous permet de le faire, les insurmontables difficultés dont vous êtes environné. Vous êtes fort, milord, vous êtes puissant ; mais qu’il me soit accordé de le dire sans vous offenser, vous ne l’êtes que par la faveur de la reine. Tant que vous serez le favori d’Élisabeth, vous aurez, sauf le nom, tous les droits d’un souverain ; mais qu’elle vous retire sa faveur, la gourde du prophète ne fut pas plus promptement flétrie. Révoltez-vous contre la reine, je ne dis pas seulement dans tout le royaume et dans cette province, vous serez aussitôt abandonné, je dis que même dans votre propre château, au milieu de vos vassaux, de vos parens et de vos amis, vous serez fait prisonnier, et prisonnier bientôt jugé s’il plaît à la reine d’en donner l’ordre. Pensez à Norfolk, milord, au puissant Northumberland, au magnifique Westmoreland. Songez à tous ceux qui ont voulu résister à cette sage princesse : ils sont tous morts, ou prisonniers ou fugitifs. Son trône n’est pas comme tant d’autres, qu’une simple conspiration peut renverser ; les bases sur lesquelles il s’appuie sont l’amour et l’affection des peuples. Vous pouvez le partager avec Élisabeth si vous le voulez ; mais ni vous ni aucune puissance étrangère ou domestique ne parviendront à l’abattre ou même à l’ébranler.
Il se tut alors, et Leicester jeta ses tablettes avec un air d’insouciance et de dépit. – Je sais ce que tu dis, ajouta-t-il ; et, dans le fond, peu m’importe que ce soit la vérité ou la lâcheté qui te fasse parler ainsi ; mais il ne sera pas dit que je tomberai sans résistance. Va donner ordre à ceux de mes vassaux qui ont servi sous moi en Irlande de se rendre un à un dans le principal donjon ; que mes gentilshommes et mes amis se tiennent sur leurs gardes, comme si l’on s’attendait à une attaque de la part des gens de Sussex ; sème quelques alarmes parmi les habitans de la ville ; qu’ils prennent les armes, et qu’ils soient prêts, à un signal donné, à s’assurer des gentilshommes pensionnaires et des yeomen de la garde.
– Permettez-moi de vous rappeler, milord, dit Varney avec un air de douleur, que vous me donnez ordre de tout disposer pour désarmer la garde de la reine : c’est un acte de haute trahison ; cependant vous serez obéi.
– Peu m’importe, dit Leicester avec l’accent du désespoir ; peu m’importe : la honte est derrière moi, ma ruine devant mes yeux ; il faut me déclarer.
Il y eut ici un autre moment de silence. Varney prit enfin la parole : – Nous voilà arrivés au point que je redoutais depuis long-temps. Je me vois forcé ou d’être le lâche témoin de la chute du meilleur des maîtres, ou de dévoiler ce que j’eusse désiré voir enseveli dans un oubli profond, ou dénoncé par une autre bouche que la mienne.
– Que dis-tu, et que veux-tu dire ? répondit le comte. Nous n’avons pas de temps à perdre en paroles, il faut maintenant agir.
– Ce que j’ai à dire n’est pas long, milord. Plût à Dieu que
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