Kenilworth
voyage ; car rien n’échappait à son œil vigilant. Après avoir inutilement cherché à la remettre à Tressilian ou à la comtesse, il l’avait placée, comme nous l’avons vu, dans les mains de Leicester lui-même ; mais il ne l’avait malheureusement pas reconnu sous le déguisement qu’il portait alors.
Enfin Dick était sur le point de parvenir à son but, le soir de la mascarade ; mais, au moment où il allait aborder le comte, il avait été prévenu par Tressilian. Doué d’une finesse d’ouïe égale à celle de son esprit, Flibbertigibbet les avait entendus se donner un rendez-vous dans la Plaisance , et avait résolu d’ajouter un tiers à leur entretien. Il forma le dessein de les épier ; car il commençait à être inquiet sur le compte de la dame, d’après les bruits étranges qui déjà se répandaient parmi les domestiques.
Un incident imprévu l’empêcha de suivre le comte de près, et, lorsqu’il arriva sous le portique, il trouva aux prises les deux adversaires. Il se hâta aussitôt de donner l’alarme à la garde, se doutant bien que sa propre espièglerie devait être la cause de cette querelle, qui pouvait avoir des résultats funestes. Caché sous le portique, il entendit le second rendez-vous que Leicester donnait à Tressilian. En conséquence, il les avait épiés tous deux avec la plus grande attention, pendant le combat des gens de Coventry, lorsqu’à son grand étonnement il avait reconnu Wayland, déguisé avec grand soin, mais qui ne l’était pas assez pour tromper l’œil curieux de son ancien camarade. Ils sortirent de la foule pour s’expliquer sur leur position mutuelle. Dick avoua à Wayland tout ce que nous venons de raconter ; et l’artiste l’informa, à son tour, que sa profonde inquiétude sur le sort de la dame l’avait ramené près du château, aussitôt qu’on lui avait appris dans un village situé à environ vingt milles, où il était dans la matinée, que Varney et Lambourne, dont il redoutait la violence, avaient tous deux quitté Kenilworth la nuit précédente.
Au milieu de leur conversation, ils virent Leicester et Tressilian se dégager de la foule ; ils les suivirent jusqu’à l’endroit où ils montèrent à cheval. Ce fut alors que Dick, dont la légèreté est déjà connue de nos lecteurs, arriva assez à temps pour sauver la vie à Tressilian. L’enfant achevait son histoire lorsqu’ils descendirent à la tour de la Galerie.
CHAPITRE XL.
« Voyez-vous du soleil la flamme matinale
« De la trompeuse nuit chasser l’obscurité ?
« Sur le mensonge ainsi prévaut la vérité. »
Ancienne comédie.
Lorsque Tressilian traversa le pont qui venait d’être le théâtre d’un divertissement si tumultueux, il ne put s’empêcher de remarquer que l’expression de tous les visages avait singulièrement changé pendant sa courte absence. Le combat burlesque était terminé ; mais les combattans, ayant encore leurs déguisemens, s’étaient formés en divers groupes, comme les habitans d’une ville qui vient d’être agitée par quelque nouvelle étrange et alarmante.
La cour extérieure lui offrit le même aspect. Les domestiques, les gens de la suite du comte, les officiers subalternes de la maison, étaient rassemblés, et se parlaient à voix basse, tournant sans cesse leurs regards vers les croisées de la grand’salle, d’un air à la fois inquiet et mystérieux.
La première personne de sa connaissance particulière que rencontra Tressilian fut sir Nicolas Blount, qui, sans lui laisser le temps de faire des questions, lui adressa ces paroles :
– Dieu te pardonne, Tressilian, tu es plus fait pour être bon campagnard que bon courtisan. Tu n’as pas l’empressement convenable à un homme de la suite de Sa Majesté. On te demande au château, on te désire, on t’attend ; personne ne peut te remplacer dans cette affaire ; et voici que tu arrives avec un marmot sur le cou de ton cheval, comme si tu étais la nourrice de quelque petit diable à la mamelle, auquel tu viens de faire prendre l’air.
– Comment ! qu’y a-t-il donc ? dit Tressilian en lâchant l’enfant, qui s’élança à terre avec la légèreté d’une plume, et en descendant lui-même de cheval en même temps.
– Ma foi, personne ne sait ce dont il s’agit, répliqua Blount ; je suis moi-même en défaut, quoique j’aie l’odorat aussi fin que qui que ce soit. Seulement milord de Leicester vient de
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