Kenilworth
je vais te frapper de mon épée ! Quel intérêt te pousse à me priver de ma vengeance ?
– Un intérêt puissant, dit le jeune garçon sans s’intimider, puisque ma folie est la cause de cette sanglante querelle, et peut-être de malheurs plus terribles encore. Oh ! si vous voulez jouir d’une conscience pure, si vous espérez dormir en paix et à l’abri du tourment des remords, veuillez seulement parcourir cette lettre, et ensuite faites selon votre plaisir.
Parlant avec une énergie à laquelle sa voix et ses traits singuliers ajoutaient quelque chose de fantastique, il montra à Leicester une lettre fermée par une longue tresse de cheveux. Quelque aveuglé qu’il fût par la rage de se voir privé d’une manière si étrange du plaisir de la vengeance, un mouvement presque involontaire fit que le comte céda à la demande que lui faisait avec tant d’instances un être si extraordinaire. Il lui arracha la lettre des mains, pâlit en regardant l’adresse, délia d’une main tremblante le nœud qui l’attachait, et jetant les yeux sur ce qui y était écrit, il chancela, et il allait tomber à la renverse, s’il ne se fût appuyé contre un tronc d’arbre. Il y resta un instant, les yeux fixés sur la lettre, la pointe de son épée tournée contre terre, et sans paraître songer à la présence d’un ennemi auquel il avait montré un courroux si impitoyable, et qui aurait pu à son tour l’attaquer avec avantage. Mais Tressilian avait l’âme trop noble pour une pareille vengeance. Il était, comme le comte, immobile de surprise, attendant la fin de cette scène étrange, mais se tenant prêt à se défendre en cas de besoin contre quelque attaque inattendue de Leicester, qu’il soupçonnait de nouveau être en proie à une véritable frénésie. À la vérité il reconnut facilement dans le jeune garçon son ancienne connaissance Dick Sludge, dont la figure ne s’oubliait pas aisément lorsqu’on l’avait vue une fois ; mais il ne pouvait s’imaginer comment il était arrivé dans un moment si critique ; il ne comprenait pas davantage pourquoi il avait mis tant d’énergie à son intervention, et surtout comment elle avait pu produire un tel effet sur Leicester.
Mais la lettre seule eût suffi pour en produire de plus surprenans encore. C’était celle que la malheureuse Amy avait écrite à son époux, afin de lui exposer les motifs qui l’avaient forcée de fuir le château de Cumnor, et la manière dont elle avait exécuté son projet. Elle lui apprenait qu’elle s’était réfugiée à Kenilworth pour implorer sa protection, et lui détaillait les circonstances qui l’avaient conduite dans la chambre de Tressilian, le conjurant de lui désigner sans retard un asile plus convenable. Elle terminait par les protestations les plus solennelles d’un attachement inviolable et d’une soumission absolue à sa volonté en toutes choses ; demandant pour toute faveur de ne plus être livrée à la garde de Varney.
La lettre tomba des mains de Leicester lorsqu’il l’eut parcourue. – Prenez mon épée, Tressilian, dit-il, et percez moi le cœur, comme je voulais percer le vôtre il n’y a qu’un moment !
– Milord, dit Tressilian, vous m’avez fait une grande injustice, mais une voix secrète au fond de mon cœur m’a toujours répété que ce devait être par quelque inconcevable méprise.
– Méprise fatale ! dit Leicester ; et il remit la lettre à Tressilian : on m’a fait prendre un homme d’honneur pour un scélérat, et un serviteur infidèle et dissolu a passé à mes yeux pour le meilleur des hommes. Misérable enfant, pourquoi cette lettre ne me parvient-elle qu’aujourd’hui ? où s’est donc arrêté celui qui en était chargé ?
– Je n’ose vous le dire, milord, repartit le jeune garçon en s’éloignant pour se mettre hors de sa portée, mais voici le messager.
Au même moment arriva Wayland ; et, questionné par Leicester, il détailla toutes les circonstances de sa fuite avec Amy ; les attentats qui avaient forcé cette infortunée à prendre la fuite, et le désir qu’elle avait toujours montré de se mettre sous la protection du comte. Il invoqua le témoignage des domestiques de Kenilworth, qui ne pouvaient pas avoir oublié les questions empressées qu’elle avait faites sur le comte de Leicester aussitôt après son arrivée.
– Les scélérats ! s’écria le comte, et cet infâme Varney, le plus scélérat de tous !
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