Kenilworth
le soir dans son appartement, cette longue et superbe tresse de cheveux qui avait lié la lettre d’Amy s’offrit à ses regards, et, comme par la vertu magique d’un talisman, réveilla dans son cœur des sentimens plus nobles et plus doux. Il la baisa mille fois et, en se rappelant qu’il était encore en son pouvoir d’éviter les souffrances qu’il venait d’endurer, en se retirant dans cette demeure magnifique et digne d’un prince, avec la charmante et tendre compagne qui devait partager son sort futur, il sentit qu’il pourrait s’élever au-dessus de la vengeance qu’Élisabeth s’était plu à tirer de lui.
En conséquence Leicester, le jour suivant, montra une si noble sérénité d’âme, il parut si occupé des plaisirs de ses hôtes, et cependant si indifférent pour leur conduite personnelle à son égard ; il fut si respectueux avec la reine, il supporta avec tant de patience tous les dégoûts dont elle cherchait à l’abreuver, qu’Élisabeth changea de procédés, et, quoique toujours froide et hautaine, elle ne lui fit plus aucun affront direct. Elle fit entendre aussi avec quelque aigreur à ceux de sa suite qui pensaient lui faire la cour en se conduisant d’une manière peu respectueuse avec le comte, que tant qu’ils resteraient à Kenilworth ils devaient avoir pour lui les égards auxquels des hôtes étaient obligés envers le seigneur du château. Enfin tout changea tellement de face en vingt-quatre heures que les courtisans les plus expérimentés et les plus déliés, prévoyant qu’il était possible que Leicester rentrât en faveur, réglèrent leur conduite de manière à pouvoir un jour se faire un mérite de ne l’avoir pas abandonné au jour de son adversité. Il est temps cependant de laisser ces intrigues, pour suivre dans leur voyage Tressilian et Raleigh.
Outre Wayland, ils avaient avec eux un poursuivant d’armes de la reine, et deux vigoureux domestiques. Ils étaient tous six bien armés, et voyageaient aussi vite que le permettait la nécessité de ménager leurs chevaux, qui avaient devant eux un long chemin à faire. Ils cherchèrent à se procurer quelques renseignemens sur Varney ; mais ils ne purent en recueillir aucun, parce qu’il avait voyagé pendant la nuit.
Dans un petit village qui était à douze milles de Kenilworth, où ils s’arrêtèrent pour faire rafraîchir leurs chevaux, un pauvre ecclésiastique, curé-desservant du lieu, sortit d’une petite chaumière, et les supplia, si quelqu’un d’entre eux entendait la chirurgie, qu’il voulût bien entrer un instant pour voir un homme qui se mourait.
Wayland, l’empirique, offrit de faire de son mieux. Pendant que le curé le conduisait à l’endroit désigné, il apprit que le blessé avait été trouvé sur la grande route, à un mille du village, par les laboureurs qui allaient à leurs travaux dans la matinée précédente, et que le curé lui avait donné un asile dans sa maison. Sa blessure, qui provenait d’un coup de feu, était évidemment mortelle. Mais avait-il été blessé dans une querelle particulière, ou par des voleurs, c’est ce qu’on n’avait pu savoir, car il avait une fièvre violente, et ne tenait aucun discours suivi. Wayland entra dans un appartement sombre ; et le curé n’eut pas plus tôt tiré les rideaux du lit, qu’il reconnut dans les traits défigurés du mourant la figure de Michel Lambourne. Sous prétexte d’aller chercher quelque chose dont il avait besoin, Wayland courut prévenir ses compagnons de voyage de cette circonstance extraordinaire ; et Tressilian et Raleigh, remplis des plus vives inquiétudes, se rendirent en toute hâte à la demeure du curé, pour assister aux derniers momens de Lambourne.
Ce misérable était alors dans les angoisses de la mort, dont un meilleur chirurgien que Wayland n’aurait pu le sauver ; car la balle lui avait traversé le corps de part en part. Il avait encore quelque usage de ses sens ; il reconnut Tressilian, et lui fit signe de se pencher sur son lit. Tressilian s’approcha. Après quelques murmures inarticulés, dans lesquels on ne pouvait distinguer que les noms de Varney et de lady Leicester, Lambourne lui dit, de se hâter, de peur d’arriver trop tard. Ce fut en vain que Tressilian chercha à obtenir du malade de plus amples renseignemens ; il parut tomber dans le délire, et quand il fit encore signe à Tressilian pour attirer son attention, ce ne fut que pour le prier
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