Kenilworth
faire attention à cette interruption, des procureurs, pionniers subtils, pour dresser des contrats qui garrottent les autres sans trop le gêner lui-même, et pour lui faciliter les moyens de tirer le meilleur parti des concessions de terres de l’Église et de toute autre espèce de grâces ; des apothicaires pour assaisonner convenablement au besoin un bouillon ou un chaudeau ; des spadassins intrépides qui combattraient le diable s’il se présentait à eux ; mais surtout, et sans préjudice des autres, il lui faut des âmes saintes, innocentes, puritaines, comme la tienne, honnête Foster, et capables d’accomplir les œuvres de Satan tout en défiant son pouvoir.
– Vous ne voudriez pas dire, M. Varney, que notre maître, que je regarde comme l’homme du royaume ayant les sentimens les plus nobles, ait recours, pour s’élever, à des moyens tels que ceux dont vous venez de parler, et qu’on ne pourrait employer sans péché.
– Ce n’est pas à moi qu’il faut parler sur ce ton, l’ami Foster. Ne t’y méprends pas ; je ne suis pas en ton pouvoir, comme ta faible cervelle se l’imagine, parce que je te fais connaître sans me gêner les instrumens, les ressorts, les vis, les leviers, les crampons dont les grands hommes se servent pour s’élever dans des temps difficiles. Ne disais-tu pas que notre bon lord est le plus noble des hommes ? Soit, il n’en a que plus besoin d’avoir à son service des gens peu scrupuleux, et qui, sachant que sa chute les écraserait, suent sang et eau et risquent corps et âme pour le soutenir : je te le dis parce que peu m’importe qui le sache.
– Ce que vous dites là sont des paroles de vérité, M. Varney. Celui qui est chef d’un parti n’est autre chose qu’une barque sur les flots ; elle ne s’élève pas d’elle-même, mais elle doit son élévation aux vagues sur lesquelles elle est portée.
– Tu ne parles que par métaphores, Tony ; cette veste de velours a fait de toi un oracle. Il faudra que nous t’envoyions à Oxford pour y prendre tes degrés. Mais en attendant as-tu employé tout ce qu’on t’a envoyé de Londres ? As-tu préparé un appartement digne de milord ?
– Il serait digne d’un roi le jour de ses noces ; et je vous réponds que madame Amy s’y donne des airs comme si elle était la reine de Saba.
– Tant mieux, mon bon Foster ; il faut qu’elle soit contente de nous ; notre fortune dépend de son caprice.
– En ce cas nous bâtissons sur le sable ; car, en supposant qu’elle partage à la cour le rang et l’autorité de son mari, comment me regardera-t-elle, moi qui suis en quelque sorte son geôlier, la gardant ici, bon gré mal gré, comme une chenille sur un espalier, tandis qu’elle voudrait être un papillon bariolé dans le jardin d’une cour ?
– Ne crains pas qu’elle soit mécontente ; je lui ferai sentir que tout ce que tu as fait dans cette affaire a été pour rendre service à milord ainsi qu’à elle-même. Quand elle sortira de la coquille de l’œuf où elle est encore enfermée, elle conviendra que nous avons fait éclore sa grandeur.
– Prenez-y garde, M. Varney ; vous pouvez compter sans votre hôte dans cette affaire. Elle vous a fait un accueil à la glace ce matin, et je crois qu’elle vous regarde comme moi, de mauvais bail.
– Tu te trompes, Foster ; tu te trompes complètement : elle tient à moi par tous les liens qui peuvent l’attacher à un homme grâce auquel elle a pu satisfaire son amour et son ambition. Qui a arraché à son humble destinée l’obscure Amy Robsart, la fille d’un vieux radoteur, d’un chevalier sans fortune, l’épouse future d’un fou, d’un enthousiaste comme Edmond Tressilian ? Qui a fait luire à ses yeux la perspective de la plus belle fortune d’Angleterre et peut-être de l’Europe ? n’est-ce pas moi ? C’est moi qui, comme je te l’ai déjà dit, leur ménageais des entrevues secrètes ; qui veillais autour du bois, tandis qu’on y poursuivait le gibier ; c’est moi que ses parens encore aujourd’hui accusent d’être le compagnon de sa fuite, et qui, si j’étais dans leur voisinage, ferais bien de porter sur ma peau autre chose qu’une chemise de toile de Hollande, de crainte qu’elle ne fît connaissance avec l’acier d’Espagne. Qui portait leur correspondance ? qui amusait le vieux chevalier et Tressilian ? qui imagina le plan de sa fuite ? moi. Ce fut moi en un mot qui tirai
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