Kenilworth
surnomma le Messager du diable ce qui me valait une volée de pierres chaque fois que je me montrais dans un des villages voisins. Enfin mon maître disparut tout-à-coup en me disant qu’il allait travailler dans son laboratoire secret et me défendant d’aller l’y troubler avant deux jours. Cet intervalle passé, je conçus des inquiétudes, je vins ici, et je trouvai le feu éteint et tous les ustensiles de chimie en désordre, avec un billet du docte Doboobius, comme il se nommait lui-même m’informant que nous ne nous reverrions plus, me léguant son appareil chimique et le parchemin que je viens de vous montrer, et me conseillant de suivre exactement les instructions qui y étaient contenues, attendu que c’était le moyen infaillible de parvenir à la découverte du grand œuvre.
– Et as-tu suivi ce sage conseil ? demanda Tressilian.
– Non, monsieur. Naturellement prudent et soupçonneux, parce que je savais à qui j’avais affaire, je fis une recherche exacte partout, même avant d’allumer du feu, et je découvris enfin un petit baril de poudre soigneusement caché sous l’âtre du foyer, sans doute dans l’intention charitable de me faire trouver ici mort et sépulture, aussitôt que je commencerais à travailler à la transmutation des métaux. Cette découverte me dégoûta de l’alchimie, et j’aurais bien voulu retourner honnêtement à l’enclume et au marteau ; mais qui amènerait un cheval à ferrer au messager du diable ? Cependant j’avais gagné l’amitié du brave Flibbertigibbet que voici, en lui apprenant quelques secrets de nature à plaire à son âge pendant qu’il était à Faringdon avec son précepteur, le savant Érasme Holyday. Nous tînmes conseil ensemble, et nous décidâmes que puisque je ne pouvais espérer de me procurer des pratiques par les voies ordinaires, j’essaierais d’en attirer en profitant de la crédulité des villageois, et, grâce à Flibbertigibbet, qui m’a fait une réputation, je n’en ai pas manqué. Mais je sens que je joue un trop gros jeu : je crains qu’on ne finisse par me prendre pour un sorcier, et je ne désire rien tant que de trouver l’occasion d’abandonner ma forge, lorsque je pourrai obtenir la protection de quelque homme honorable contre la fureur de la populace, si elle venait à me reconnaître.
– Connais-tu parfaitement les routes de ce pays ? lui demanda Tressilian.
– Il n’en est pas une que je ne puisse reconnaître par la nuit la plus noire, répondit Wayland-Smith ou le maréchal, comme notre adepte s’appelait lui-même.
– Tu n’as sans doute point de cheval ?
– Pardonnez-moi. J’ai oublié de vous en parler, mais c’est le meilleur effet de la succession du docteur, à l’exception de deux ou trois de ses secrets de médecine que je me suis appropriés bien contre son gré.
– Eh bien, va te laver la figure et les mains, jette cette peau ridicule, habille-toi le plus décemment que tu le pourras, et si tu es fidèle et discret, tu pourras me suivre quelque temps jusqu’à ce qu’on ait oublié tes tours de passe-passe. Je crois que tu ne manques ni d’adresse ni de courage, et j’ai des affaires qui peuvent exiger l’un et l’autre.
Wayland accepta cette proposition avec empressement, et assura son nouveau maître de tout son dévouement. En quelques minutes il opéra un tel changement dans tout son extérieur quand il eut revêtu de nouveaux habits et arrangé sa barbe et ses cheveux, que Tressilian ne put s’empêcher de lui dire qu’il n’avait guère besoin de protecteur, attendu qu’aucune de ses anciennes connaissances ne pourrait maintenant le reconnaître.
– Mes débiteurs ne voudraient pas me payer, dit Wayland en secouant la tête, mais mes créanciers de tout genre ne seraient pas si faciles à aveugler ; non vraiment ! je ne me croirais pas en sûreté si je n’étais sous la protection d’un homme de votre naissance et de votre réputation.
À ces mots il prit les devans pour sortir de la caverne, et quand il fut dehors il appela le lutin à haute voix. Celui-ci, qui tarda quelques instans à les rejoindre, parut bientôt chargé de tous les harnais d’un cheval. Wayland ferma la trappe, et la recouvrit avec soin. – Qui sait, dit-il, si je n’aurai pas encore besoin de cet antre ? D’ailleurs les outils ont toujours quelque valeur. Il siffla, et un cheval qui paissait dans une prairie voisine accourut à ce signal, auquel il était
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