Kenilworth
trouve.
– Votre Révérence n’en doit faire nul doute, dit William Badger qui venait d’entrer en ce moment, car je gagerais ma vie qu’en s’éveillant il va se trouver tout autre qu’il n’a été depuis trente jours.
– Tu as donc une bien grande confiance dans la potion du docteur Diddleum ? dit le ministre.
– Pas la moindre, répondit Badger ; car il n’en a pas bu une goutte, attendu qu’on avait cassé la fiole. Mais M. Tressilian a amené ici un artiste qui a composé pour sir Hugh un breuvage qui vaut vingt potions du docteur Diddleum. J’ai causé avec lui, et je puis garantir qu’il n’existe pas un meilleur maréchal, un homme qui connaisse mieux les maladies des chevaux, et certainement ce n’est pas lui qui voudrait faire mal à un chrétien.
– Un maréchal, misérable ! s’écria le ministre ; avoir donné à sir Hugh un breuvage préparé par un maréchal ! et en vertu de quelle autorité ? et qui répondra des suites ?
– À l’égard de l’autorité, Votre Révérence, c’est en vertu de la mienne ; et quant à la responsabilité, je n’ai pas vécu vingt-cinq ans dans le château sans avoir acquis le droit de donner un breuvage au besoin à un homme ou à un cheval. Que de médecines n’ai-je pas distribuées dans l’écurie ! Combien de fois n’y ai-je pas même saigné, cautérisé, ventousé !
Les deux conseillers privés crurent ne pas devoir perdre un instant pour porter cette nouvelle à Tressilian, qui manda sur-le-champ Wayland en sa présence, et lui demanda, mais en particulier, de quel droit il s’était avisé de préparer un breuvage pour sir Hugh Robsart.
– Votre Honneur doit se rappeler, répondit Wayland, que je lui ai dit que j’avais pénétré dans les secrets de l’art de mon maître, je veux dire du docteur Doboobie, plus avant qu’il ne l’aurait voulu ; et véritablement s’il avait conçu de l’animosité contre moi, c’était parce que bien des personnes douées de discernement, et notamment une jeune et jolie veuve d’Abingdon, préféraient mes ordonnances aux siennes.
– Il ne s’agit pas ici de plaisanter, dit Tressilian. Je te jure que si la médecine de cheval que tu as fait prendre à sir Hugh nuit le moins du monde à sa santé, tu trouveras ton tombeau dans le fond d’une mine d’étain.
– Je ne suis pas encore assez avancé dans le grand arcanum de la transmutation des métaux, pour changer l’étain en or, répondit Wayland sans se déconcerter : mais ne craignez rien, M. Tressilian ; William Badger m’a bien expliqué la situation du digne chevalier, et je me flatte que je suis en état d’administrer une dose de mandragore capable de procurer un sommeil, doux et tranquille, ce qui ne peut manquer de rétablir le calme dans l’esprit agité de sir Hugh.
– J’espère, Wayland, que je n’éprouverai pas de trahison de ta part ?
– L’événement vous le prouvera. Quel motif pourrais-je avoir pour nuire à un pauvre vieillard à qui vous vous intéressez ? Si Gaffer Pinniewinks ne m’enfonce pas son poinçon dans la chair en ce moment, et ne la déchire pas avec ses maudites pinces partout où il découvrirait quelque marque sur mon corps, pour voir si ce n’est pas celle du diable, n’est-ce pas à vous que je le dois ? Mon plus grand désir est que vous me regardiez comme le plus fidèle de vos serviteurs ; et vous jugerez de ma bonne foi par le résultat du sommeil du bon chevalier. Wayland ne s’était pas trompé dans ses conjectures. La potion calmante que son expérience avait préparée et que la confiance de William Badger avait administrée, produisit les plus heureux effets. Le baronnet dormit d’un sommeil long et paisible, et il s’éveilla le cœur bien triste à la vérité, le corps très faible, mais l’esprit plus en état de juger ce qu’on pouvait lui proposer, qu’il ne l’avait été depuis quelque temps. Il n’adopta pas sur-le-champ le projet de Tressilian, de se rendre à la cour pour obtenir, autant que la chose était possible, réparation de l’injure faite à Amy. Il faut l’abandonner, dit-il ; c’est un faucon qui suit le vent et qui ne vaut pas le coup de sifflet qu’on donne pour le rappeler. On parvint pourtant à le convaincre qu’il était de son devoir de céder à la voix de la tendresse paternelle qui lui parlait tout bas malgré lui, et de consentir que Tressilian fît pour sa fille tout ce qu’il serait possible
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