Kenilworth
nuit.
Lorsque le comte apprit la manière dont le jeune Walter avait reçu le médecin que la reine avait daigné lui envoyer, il sourit d’abord ; mais, après un instant de réflexion, il ordonna à Blount, son premier écuyer, de se mettre sur-le-champ dans une barque et de se rendre au palais de Greenwich, en prenant avec lui Walter et Tracy, pour présenter à la reine ses humbles respects, l’assurer de toute sa reconnaissance, et lui expliquer le motif qui l’avait empêché de prendre les avis du savant docteur Masters.
– Peste soit d’un pareil ordre ! dit Blount en rentrant dans l’antichambre. S’il m’avait envoyé porter un cartel à Leicester, je crois que je me serais acquitté passablement d’un tel message. Mais me présenter devant notre gracieuse souveraine, en présence de qui toutes les paroles doivent être sucrées et miellées comme si elles sortaient de la boutique d’un confiseur, c’est ce qui ne me convient guère. Allons, partons, Tracy ; suis-moi, Walter, toi qui es la cause de toute cette besogne ; voyons si ton cerveau si fertile en feux d’artifice pourra venir au secours d’un homme qui ne sait parler que le franc et bon anglais.
– Ne craignez rien, s’écria Walter ; je vous tirerai d’embarras. Donnez-moi seulement le temps d’aller chercher mon manteau.
– Ton manteau ! tu l’as sur les épaules. Je crois qu’il a perdu la tête, s’il en a jamais eu une.
– Eh non ! c’est un vieux manteau de Tracy. Crois-tu que je veuille me montrer à la cour sans être vêtu comme il convient à un gentilhomme ?
– Bah ! tes beaux habits te serviront tout au plus à éblouir les yeux du portier et de quelques pauvres valets.
– N’importe, je veux mettre mon manteau, et donner un coup de brosse à mon pourpoint avant de partir.
– Voilà bien du bruit pour un manteau et un pourpoint. Allons, dépêche-toi, au nom du ciel !
Ils voguèrent bientôt sur le sein de la superbe Tamise, dont les ondes réfléchissaient alors le soleil dans tout l’éclat de ses feux.
– Voilà deux choses qui n’ont rien qui les égale dans tout l’univers, dit Walter à Blount ; le soleil dans les cieux, et la Tamise sur la terre.
– Les rayons de l’un nous éclaireront pour aller à Greenwich, répondit Blount, et les eaux de l’autre nous y conduiraient plus vite si c’était l’heure de la marée.
– Et voilà tout ce que tu penses, tout ce dont tu t’inquiètes ! Tu ne vois d’autre utilité dans le roi des élémens, dans la reine des fleuves, que d’aider de pauvres diables comme toi, Tracy et moi, à aller faire à la cour une visite de pur cérémonial.
– C’est une visite dont je me souciais fort peu, sur ma foi ; j’épargnerais de bon cœur au soleil et à la Tamise la peine de me conduire où je n’avais nulle envie d’aller ; et je m’attends, pour toute récompense, à être reçu fort mal. Et sur mon honneur, ajouta-t-il en jetant les yeux sur Greenwich dont ils approchaient, je crois que nous aurons fait une course inutile, car je vois la barque de la reine près des degrés du parc, comme si Sa Majesté allait faire une promenade sur l’eau.
Il ne se trompait pas. Le pavillon anglais flottait sur la barque royale, où se trouvaient déjà les bateliers de la reine, vêtus de leurs riches livrées ; et on l’avait approchée de l’escalier conduisant dans le parc de Greenwich. Deux ou trois autres barques étaient destinées pour les personnes de la suite d’Élisabeth qui ne devaient pas être admises dans la première. Ses gardes-du-corps, les plus beaux hommes de l’Angleterre, formaient une double haie depuis la porte du palais jusqu’au bord de l’eau, et l’on semblait attendre l’arrivée de la reine, quoiqu’il fut encore de très bonne heure.
– Sur ma foi, cela ne nous présage rien de bon, dit Blount ; il faut que la reine ait de puissantes raisons pour se mettre en route de si grand matin. Nous ferions mieux de retourner à Say’s-Court, pour rendre compte à milord de ce que nous avons vu.
– De ce que nous avons vu ! répéta Walter ; et qu’avons-nous vu ? Une barque, des rameurs, et quelques soldats en habits d’écarlate, armés de hallebardes. Exécutons la mission dont le comte nous a chargés, et nous lui rendrons compte de la manière dont la reine nous aura reçus.
À ces mots il ordonna aux bateliers d’approcher la barque d’un endroit où ils pourraient
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