Kenilworth
de nouveau, et tâcha de couvrir, en affectant de rire, un léger mouvement de surprise et de confusion qui ne lui était pas désagréable.
– Avez-vous jamais entendu rien de semblable, milords ? La lecture des romans a tourné la tête de ce pauvre jeune homme. Il faut que je sache qui il est, afin de le renvoyer en sûreté à ses parens. Qui êtes-vous, jeune homme ?
– Gentilhomme de la maison du comte de Sussex, qui m’avait envoyé ici avec son premier écuyer porter un message à Votre Majesté.
Dès que ce nom eut été prononcé, l’air gracieux avec lequel la reine avait jusqu’alors regardé Walter s’évanouit, et fit place à une expression de hauteur et de sévérité.
– Lord Sussex, dit-elle, nous a enseigné le prix que nous devons mettre à ses messages par la valeur qu’il attache aux nôtres. Ce matin même, et à une heure qui n’est pas ordinaire, nous lui avions envoyé notre médecin, ayant appris que sa maladie était plus sérieuse que nous ne l’avions pensé d’abord. Dans aucune cour de l’Europe y a-t-il un homme plus savant, que le docteur Masters ? Il se présentait de notre part chez un de nos sujets ; cependant il a trouvé la porte de Say’s-Court défendue par des hommes armés et des coulevrines, comme si c’eût été un château situé sur les frontières d’Écosse, et non dans le voisinage de notre cour ; et, quand il a demandé, en notre nom, qu’on la lui ouvrît, il a essuyé l’affront d’un refus. Nous ne recevrons, au moins quant à présent, aucunes excuses du mépris dont milord a payé une marque de bonté qui n’était que trop grande ; car je présume que l’objet de votre mission était de nous en offrir.
Ces mots furent prononcés d’un ton et avec des gestes qui firent frémir les amis du comte de Sussex à portée de les entendre. Mais celui à qui elle les adressait n’en fut point intimidé. Dès que la reine eut cessé de parler, il leva les yeux vers elle, et lui dit d’un air humble et respectueux : – Je supplie Votre Majesté de me permettre de lui dire que je n’étais chargé d’aucune excuse de la part du comte de Sussex.
– Et de quoi vous a-t-il donc chargé ? s’écria la reine avec cette impétuosité qui, mêlée à de plus nobles qualités, faisait le fond de son caractère. Est-ce de le justifier, ou, par la mort de Dieu, serait-ce de me braver ?
– Le comte de Sussex, madame, répondit Walter, connaissait toute la grandeur du crime, et il n’a pensé qu’à s’assurer du coupable, et à vous l’envoyer pour le livrer à votre merci. Il dormait profondément quand le docteur Masters est arrivé, son médecin lui ayant fait prendre une potion à cet effet ; il n’a appris que ce matin, en s’éveillant, le message plein de bonté de Votre Majesté, et le refus qu’on avait fait au docteur de le laisser entrer.
– Ceci change la thèse, dit la reine d’un ton adouci. Mais quel est celui de ses serviteurs assez hardi pour avoir refusé l’entrée du château à mon propre médecin, qui venait de ma part donner des soins à son maître ?
– Le coupable est devant vos yeux, madame, répondit Walter en s’inclinant profondément. C’est sur moi seul que tout le blâme doit tomber, et milord a eu raison de m’envoyer devant vous pour subir les conséquences d’une faute dont il est aussi innocent que les rêves d’un homme endormi le sont des actions d’un homme éveillé.
– Toi, jeune homme ! c’est toi qui as refusé la porte de. Say’s-Court à mon médecin que j’y envoyais ! Quel motif a pu inspirer tant d’audace à un jeune homme si dévoué,… c’est-à-dire dont la conduite extérieure annonce tant de dévouement à sa souveraine ?
– Madame, dit Walter, qui, malgré l’air de sévérité dont la reine affectait encore de se couvrir, entrevoyait dans sa physionomie qu’elle ne regardait pas son crime comme impardonnable, on dit dans mon pays qu’un médecin est pour un certain temps le souverain de son malade. Or, mon noble maître était alors soumis à un docteur dont les avis lui ont été fort utiles, et qui avait déclaré que si on l’éveillait il y allait de sa vie.
– Ton maître aura donné sa confiance à quelque misérable empirique.
– Je l’ignore, madame ; mais le fait est qu’il s’est éveillé ce matin beaucoup mieux portant qu’il ne l’avait été depuis plusieurs jours.
Ici les seigneurs de la suite de la reine se
Weitere Kostenlose Bücher