Kenilworth
ma suite, dit Blount ; je suis premier écuyer du noble comte de Sussex.
– Cela est possible, répondit le messager ; mais je suis porteur des ordres directs de Sa Majesté, et ils ne s’adressent qu’à ce gentilhomme.
À ces mots il s’éloigna en faisant signe à Walter de le suivre, laissant Blount, à qui les yeux sortaient de la tête dans l’excès de son étonnement. – Qui diable aurait imaginé pareille chose ! s’écria-t-il enfin ; et, secouant la tête d’un air mystérieux, il regagna sa barque, et retourna à Say’s-Court.
Cependant le gentilhomme pensionnaire conduisit Walter vers la Tamise, par le grand escalier, en le traitant de la manière la plus respectueuse, ce qui, en pareille circonstance, n’était pas de mauvais augure. Il le fit entrer dans une des petites barques prêtes à suivre celle de la reine, qui était déjà au milieu du fleuve, où elle voguait rapidement, favorisée par la marée, avantage dont Blount s’était plaint de manquer en se rendant à Greenwich. Les deux rameurs, obéissant à un signal du gentilhomme pensionnaire, firent tellement force de rames, qu’ils eurent rejoint en quelques minutes la barque de la reine, où elle était assise sous un pavillon avec deux ou trois dames de sa suite et quelques uns des grands-officiers de sa maison. Elle jeta les yeux plus d’une fois sur la petite barque qui s’avançait et sur le beau jeune homme qui s’y trouvait, et dit quelques mots en riant aux personnes qui l’environnaient. Enfin un seigneur, sans doute par son ordre, fit signe aux bateliers de faire approcher leur barque, et dit à Walter de passer sur celle de la reine, ce qu’il fit avec autant d’agilité que de grâce. La barque qui l’avait amené se retira. Walter, conduit devant Élisabeth, soutint les regards de Sa Majesté avec une assurance modeste, et le léger embarras qu’il éprouvait ne faisait que lui donner une nouvelle grâce. Il portait toujours sur son bras le manteau couvert de boue, et ce fut naturellement le sujet par lequel la reine entama la conversation.
– Vous avez gâté aujourd’hui un riche manteau, jeune homme ; nous vous remercions du service que vous nous avez rendu, quoiqu’il ne soit pas dans les formes ordinaires, et que vous y ayez mis un peu de hardiesse.
– La hardiesse est un devoir pour un sujet, répondit Walter, quand il s’agit de servir son souverain.
– Merci de Dieu, c’est bien répondu, milord, dit la reine en se tournant vers un grave personnage qui était près d’elle, et qui ne lui répondit qu’en baissant gravement la tête d’un air d’approbation. Eh bien, jeune homme, ta galanterie ne sera pas sans récompense ! tu iras trouver le maître de notre garde-robe, et il aura ordre de remplacer le manteau que tu as gâté pour notre service : tu en auras un des plus riches et des plus à la mode ; je te le promets, foi de princesse !
– N’en déplaise à Votre Grâce, dit Walter en hésitant, il n’appartient pas à un humble serviteur de Votre Majesté {69} comme moi de peser vos bontés, mais s’il m’était permis de choisir…
– Tu préférerais avoir de l’or, je le devine, dit Élisabeth en l’interrompant. Fi ! jeune homme ! fi ! J’ai honte de le dire, mais il y a dans notre capitale tant de moyens de dépenser l’argent en folies, qu’en donner aux jeunes gens, c’est jeter de l’huile sur le feu, c’est leur fournir des armes contre eux-mêmes. Si le ciel prolonge ma vie, je mettrai des bornes à ces désordres. Cependant tu n’es peut-être pas riche, tes parens sont peut-être pauvres… Eh bien, oui, tu auras de l’or ! mais il faut que tu me rendes compte de l’usage que tu veux en faire.
Walter attendit patiemment que la reine eût cessé de parler, et l’assura alors, d’un air modeste, que l’or était encore bien moins l’objet de ses désirs que le manteau qu’elle avait eu la bonté de lui offrir.
– Quoi ! s’écria la reine, ni notre or ni un manteau ne peuvent te contenter ! Que désires-tu donc de nous ?
– Seulement, madame, si ce n’est pas porter mes prétentions trop haut, la permission de porter le manteau qui vous a rendu ce léger service.
– La permission de porter ton manteau ! y penses-tu bien, jeune homme ?
– Il ne m’appartient plus. Le pied de Votre Majesté l’ayant touché, il est devenu digne d’un prince ; il est trop riche pour un homme de ma condition.
La reine rougit
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