Khadija
mon maître.
— Peut-être est-il plus rusé que toi.
— Saïda ! Quand on marche côte à côte toute la journée, comment pourrait-on se cacher des choses ?
— En marchant la nuit, pendant que les autres dorment, mon garçon, répliqua Khadija avec un sourire et une simplicité qui choquèrent Zayd.
— Non, saïda. La nuit non plus, maître Muhammad ne marchait pas vers les femmes. Si je mens, que le dieu Christus me punisse.
Avec un sérieux comique, Zayd ferma les paupières et offrit son visage et ses paumes au ciel, comme si une lame pouvait à l'instant le frapper. Khadija esquissa un sourire de tendresse. Elle attendit que Zayd rouvre les yeux pour demander d'une voix adoucie :
— Tu le surveillais aussi la nuit ?
— Non. Bien sûr que non. Mais, quand il le pouvait, maître Muhammad achetait des rouleaux de mémoire pour en faire cadeau à Waraqà. Il me demandait de les lire jusque tard. On a brûlé beaucoup d'huile de lampe, saïda, tu peux me croire. Parfois, le maître me demandait de relire dix fois le même passage, jusqu'à ce qu'il le connaisse par cœur. La vérité, saïda, et je ne m'en plains pas, c'est que je n'ai presque pas dormi de tout le voyage.
— Alors tu dormais le jour sur ton chameau.
— C'est arrivé.
— Et ton maître, dormait-il lui aussi ?
— Non ! Lui, il n'a pas besoin de sommeil comme moi.
Khadija eut un sourire qui se mua en un brusque et violent gémissement de douleur. Elle s'agrippa le ventre des deux mains, la bouche grande ouverte pour happer un peu d'air. Zayd était déjà debout, s'écriant :
— Saïda ! Saïda !
Khadija trouva la force d'agiter la main pour lui ordonner de se taire. La respiration lui revenant, elle dit, la voix blanche et le regard dur :
— Ce n'est rien. Rien du tout. Des affaires de femme qui ne sont pas faites pour tes oreilles. Va dormir, mon garçon, puisque tu as besoin de repos. Et surtout, tiens ta langue. Ne va pas jouer les commères auprès de Waraqà ou de mon époux en parlant de ce que tu ignores.
Les interrogations de Khadija
Comme il l'avait promis, Muhammad fut de retour avant la nuit.
Khadija s'abstint de le questionner. Le bonheur de voir son époux rire avec ses filles aînées et jouer aux osselets avec Fatima tant que la lumière le leur permettait était bien trop grand pour qu'elle eût le désir de l'interrompre. En outre, elle avait eu la journée pour réfléchir et s'apaiser.
Que Muhammad ne fut pas allé rejoindre une femme, qui aurait pu en douter ? Elle le connaissait depuis assez longtemps pour savoir qu'il tenait ses promesses. Il préférait la vérité au mensonge et le courage de dire à la dissimulation. S'il se comportait de cette étrange manière, sans doute avait-il de bonnes raisons. Le moment viendrait de les connaître. Il était temps de suivre les conseils de Waraqà et de se montrer humble et patiente.
Cette nuit-là, Khadija picora encore dans le sac de sukar. De nouveau, il lui sembla que la douleur d'Al Qasim en devenait plus douce.
Elle fut debout avant l'aube mais n'alluma pas de lampe. Elle posa son tabouret sur le seuil de sa chambre et attendit. Le ciel blanchissait à peine quand elle devina la silhouette de son époux. Il s'approcha de la cuisine et fouilla dans les sacs pour trouver quelques dattes, des galettes de la veille.
Elle resta immobile et tint les yeux fixés sur lui. Muhammad avait déjà poussé la porte de la maison quand il se retourna. Et comme s'il la devinait dans l'ombre, il lui adressa un salut.
Au cœur de la matinée, Abu Talib revint, et, ainsi que la veille, s'enquit de Muhammad. Devant l'ignorance de Khadija, il s'irrita.
— Ton époux quitte ta cour sans remplir ses devoirs et tu ne sais pas où il va ?
— Non.
— Il ne s'occupe pas de tes affaires et tu ne t'en soucies pas ?
— Ce sont ses affaires autant que les miennes.
— Alors, tu devrais te montrer plus attentive. À la mâla, son siège vide fait jaser. Et tes servantes sont allées gémir sur la place de la Ka'bâ. Dans Mekka, plus personne n'ignore que Muhammad a détruit les autels d'Hobal et d'Al'lat qui protégeaient ta cour. Des serviteurs de la caravane racontent que, pendant le voyage aux pays de Sham et de Ghassan, ton époux est devenu comme ceux du Nord. Un homme des Christus ou des Yudah ! Je viens de croiser mon cousin Abu Lahab. Il avait l'air étrange. Il m'a demandé : « Ton neveu a fait remonter les murs de la
Weitere Kostenlose Bücher